Dans un communiqué sirupeux et qui aurait pu être écrit à l’encre jaune, les affidés de la Confédération européenne des syndicats – une institution financée par la Commission européenne – versent des larmes de crocodiles sur la directive européenne « devoir de vigilance ». Ils s’inquiétent des tergiversations du régime Macron, faisant pression pour son application la moins contraignante pour les multinationales. On est bien loin des syndicalistes CGT, qui à la base et à l’image très récente de l’Union départemental CGT 13 dans ses assises de l’industrie, agissent pour défendre la production en France et s’opposer au dumping anti social et aux délocalisations.
Eurolarmes de crocodiles…
La Directive européenne sur le devoir de vigilance (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDDD) a été adoptée par le Parlement européen le 24 avril 2024 et par le Conseil de l’Union européenne le 24 mai 2024. Elle ne produit cependant aucun effet à ce jour. Elle n’entrerait en effet en vigueur que selon le calendrier suivant :
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- 2027 : Application pour les très grandes entreprises (plus de 5 000 employés et un chiffre d’affaires mondial supérieur à 1,5 milliard d’euros).
- 2028 : Application pour les entreprises de plus de 3 000 employés et un CA supérieur à 900 millions d’euros.
- 2029 : Application pour les entreprises de plus de 500 employés et un CA supérieur à 150 millions d’euros.
Les États membres ont jusqu’au 26 juillet 2026 pour transposer la directive dans leur droit national, ce qui permettra son application effective selon le calendrier ci-dessus.
Emmanuel Macron a soutenu initialement la Directive européenne sur le devoir de vigilance (CSDDD) lors de la présidence française de l’UE en 2022-2023, la présentant comme une priorité pour responsabiliser les multinationales sur les droits humains et l’environnement. La France avait alors inspiré cette directive avec sa loi nationale de 2017 sur le devoir de vigilance. La loi a été adoptée après le drame du Rana Plaza (2013) au Bangladesh. La preuve au demeurant qu’il n’est nul besoin d’appartenir à l’Union européenne pour agir ! Bien au contraire !
Mais en février 2024, la France, sous l’impulsion de Bruno Le Maire, a cherché à limiter la portée de la directive en augmentant le seuil d’application (de 500 à 5 000 salariés), ce qui aurait exclu environ 80 % des entreprises initialement concernées. Lors du sommet Choose France le 19 mai 2025, Emmanuel Macron a appelé à la suppression pure et simple de la directive (CS3D), s’alignant sur la position du chancelier allemand Friedrich Merz. Il a déclaré que la directive, ainsi que d’autres régulations, « ne doivent pas être simplement repoussées d’un an mais écartées », au nom de la simplification et de la compétitivité européenne face à la concurrence chinoise et américaine (notamment l’Inflation Reduction Act). C’est une énième illustration de ce que les conservateurs allemands dictent l’agenda politique au sein de l’Union européenne. Selon l’entourage de Macron, cette position s’inscrit dans un « agenda franco-allemand », qui de facto imposerait un recul de la loi française de 2017.
A ce titre, lorsque les dirigeants des principales centrales syndicales françaises – dont Sophie Binet de la CGT – sous les ordres de la CES rédigent un communiqué pour s’inquiéter des déclarations de Macron, il est particulièrement scandaleux de constater leur silence sur les dispositions de la législation française qui protègent bien d’avantage qu’une directive européenne qu’ils entendent protéger.
La loi française sur le devoir de vigilance du 27 mars 2017 (Loi n° 2017-399) oblige déjà les grandes entreprises françaises à prévenir les atteintes graves aux droits humains, à l’environnement et à la santé publique dans leurs activités, celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs, en France et à l’étranger. Une loi qui produit déjà ses effets : des ONG (Amis de la Terre, Survie) ont attaqué Total pour un projet pétrolier, reprochant un plan de vigilance insuffisant face aux déplacements forcés de populations et aux impacts environnementaux. L’affaire a marqué les esprits, bien que des questions de compétence judiciaire aient limité son issue. Auchan a également été mis en cause pour des liens avec des usines textiles aux conditions de travail dangereuses.
Mais il est évident qu’il s’agit de larme de crocodile quant on sait que les même ont dans un communiqué scandaleux, conjoint avec le grand patronat, appelé le 17 décembre 2024 à faire pression sur les « élus et responsables politiques » pour « retrouver au plus vite le chemin de la stabilité de la visibilité et de la sérénité ». Cela après que le très minoritaire et illégitime Macron a vu la chute de son gouvernement Barnier, tout aussi minoritaire et illégitime, en contradiction avec le vote populaire de juin 2024 qui a tout à la fois sanctionné la politique de Macron largement dictée par les directives européennes, et barré la route à l’extrême droite de Bardella Le Pen, qui forment un duo infernal avec Macron pour poursuivre les politiques de destruction et d’exploitation de la France des travailleurs. En clair, sous la conduite de la CFDT, il s’agissait d’offrir à Macron la possibilité de poursuivre la politique condamnée par les Français, en s’opposant de concert avec les milliardaires du MEDEF, aux appels à la démission de Macron et au respect de la souveraineté populaire.
En hypocrites, ceux-la larmoient donc sur les effets dont ils ont chéri la cause ! Le Macron dont ils ont défendu la légitimité poursuit la politique qu’il revendique, servir les capitalistes contre la France des travailleurs. On ne peut s’en étonner, ni s’en offusquer, mais au contraire le combattre ! Binet n’a-t-elle encore pas participé à une telle mascarade lors d’un spectacle télévisé début mai 2025, remettant en scène Macron président, en allant jusqu’à s’humilier d’un terrible « j’ai voté pour vous », ce dernier ajoutant, cynique, « et donc pour ma politique ».
… soutien aux budgets d’euro-austérité et aux traités européens organisant délocalisations, dumping antisocial, évasion fiscale !
Et c’est bien la même chose s’agissant de l’Union européenne. Faut il rappeler qu’à la remorque des jaunes de la CFDT & Cie, les caciques social-démocrates et réformistes squattant certaines fonctions de direction au sein de la CGT avaient en 2005 essayé d’inscrire la CGT dans la campagne du oui au referendum sur le traité constitutionnel européen. Ils avaient fort heureusement été balayés, sans équivoque, par les bases syndicales. Toujours est il que ceux-là ont de longue date fait le choix de privilégier en toute matière leur engagement à la construction de l’Union européenne sur la défense de la classe des travailleurs. C’est vrai lorsqu’ils soutiennent les budgets militaires énormes pour escalader la guerre, sous les ordres de l’UE-OTAN, menée en Ukraine. C’est vrai lorsqu’ils se taisent, complices, sur les directives européennes qui ordonnent la privatisation et la libéralisation des entreprises publiques (SNCF, EDF, France Telecom, Air France, La Poste, etc.). C’est encore vrai lorsqu’ils ne disent mot sur les ordres d’euro-austérité imposés par l’Union européenne qui résultent en une violente guerre contre les salaires ! C’est aussi tout particulièrement vrai sur la question de la protection des droits des travailleurs, en Europe et dans le monde, comme nous allons le démontrer ! Préférant, stipendiés par la Confédération européenne des syndicats qui reçoit 70% de ses émoluments de la part de l’Union européenne (près de 8 millions d’euro annuel tout de même !), chanter la fable de l’Union européenne qui « protège ». La vraie question est: qui protège qui et quoi ? Car ce n’est assurément pas les travailleurs et la démocratie. Ni en France, ni en Europe, ni dans le monde ! Mais au contraire les multinationales et les milliardaires !
La directive européenne n’est qu’un trompe-l’œil visant en réalité à masquer que l’Union européenne est l’instrument principal, la cause profonde de l’exploitation sanglante des travailleurs des pays du Sud, aux répercussions directes en matière de guerre aux salaires, aux conditions de travail et de protections sociales en Europe et en France. Et c’est là que ce communiqué soi-disant syndical est particulièrement cynique et scandaleux.

Car les délocalisations massives des industries de production de la France vers des pays à bas salaires, à protection sociale inexistante, à droit du travail moyenâgeux, résultent bien d’une politique délibérée, d’un cadre institutionnel établi : celui de l’Union européenne. Dans une dynamique d’abord inscrite au sein de l’Union européenne, par la « libre circulation des capitaux et des marchandises » et la « libre concurrence », consacrée d’ailleurs dès le traité de Rome. Il s’agit par ce moyen de pouvoir mettre en concurrence les travailleurs, aux salaires et droits sociaux les plus avancés, avec ceux aux salaires et droits sociaux les plus bas. En bref, permettre et impulser la délocalisation des usines, tout en permettant la libre circulation des profits ainsi générés !
On peut citer en exemple le cas de la production d’automobiles. Au moment de l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, la France comptait plusieurs usines majeures exploitées par PSA (Peugeot, Citroën) et Renault, notamment à Sochaux, Mulhouse, Poissy, Aulnay-sous-Bois, Flins, Douai ou Sandouville, produisant en 1991 environ 3,77 millions de véhicules. Mais immédiatement, les constructeurs ont commencé à investir en Europe de l’Est. Renault a ouvert une usine en Slovénie (Novo Mesto) pour la Clio, voiture la plus vendue à l’époque en France. Le nombre d’usines en France a diminué d’environ 30%-40 % depuis 1993. Dans les années 1990, la majorité des voitures vendues en France par Renault et PSA étaient fabriquées en France. Par exemple, des modèles comme la Peugeot 306, la Citroën Saxo, ou la Renault Clio étaient produits dans des usines françaises (Sochaux, Aulnay, Flins). Environ 70%-80 % des voitures vendues en France par des marques françaises étaient produites localement, le reste venant d’usines européennes (ex. : Belgique, Espagne). Avec l’élargissement de l’UE en 2004 (inclusion de la Pologne, République tchèque, Slovaquie, etc.), la production s’est déplacée vers l’Europe de l’Est. La Peugeot 107/Citroën C1/Toyota Aygo était produite à Kolín (République tchèque) à partir de 2005. Renault a produit la Logan (sous la marque Dacia) en Roumanie dès 2004. En 2023, la production automobile française était d’environ 1,3 million de véhicules (dont 1,1 million de voitures particulières), soit une baisse significative par rapport aux 3 millions des années 2000. Et la part des voitures produites en France et vendues en France n’est plus que de 30%-40 % (soit environ 540 000 à 720 000 véhicules), en baisse par rapport aux 70%-80 % des années 1990. Le salaire d’un ouvrier de l’automobile en France est d’environ 1821€ brut par mois. Il ne serait que de 500 à 800€ environ en Roumanie au sein des usines Dacia telles que Mioveni. Près de 3 fois moins. On le voit, la principale cause du dumping anti social est … l’Union européenne.

Mais la pression ne s’arrête pas aux frontières de l’Union européenne. Car c’est également elle qui impose des mesures de libre-échange, notamment les accords dits de libre-échange, ouvrant largement le marché européen aux productions venant des pays où le capital des multinationales de l’Union européenne exploite dans des conditions terribles les ouvrières et ouvriers. L’Union européenne importe pour plus de 110 milliards d’euros de textiles et de vêtements d’Asie. Et pour cela elle a mis en place des accords de libre-échange qui réduisent les barrières tarifaires (droits de douane de 4% à 5% sur les fils, 8% sur les tissus, 12% sur les vêtements). Cela sans imposer aucune condition d’équivalence sérieuse en termes de droit du travail, tout comme de niveau de rémunération des travailleurs. Encore plus ouverts, prétendument au nom du développement, l’Union européenne a mis en place des Systèmes de préférence généralisés (SPG) ouvrant sans droits ni quotas les barrières de l’UE aux pays comme le Bangladesh et le Cambodge. Principal bénéficiaire de l’EBA, le Bangladesh exporte environ 16 milliards d’euros de vêtements vers l’UE chaque année, représentant une part significative des importations textiles européennes. Les conditions de travail dans les usines bangladaises, notamment après la tragédie du Rana Plaza (2013, 1 129 morts), ont révélé des salaires très bas (environ 100-150 €/mois), des heures excessives, et des conditions dangereuses. Représentant environ 5%-6 % des importations de l’UE (valeur : 5-7 milliards d’euros/an), l’Inde bénéfice du SPG standard, avec une réduction des droits de douane. Les négations en cours de l’ALE UE Inde visent à gonfler encore ces importations. Les salaires en Inde sont de 150 à 200 euros par mois, avec un fort travail des enfants. La situation est similaire avec le Pakistan (3 à 5 milliards d’euros d’importation par an) et un SPG renforcé. Plus proche, la Turquie et ses salaires à moins de 500 euros par mois bénéficie d’une union douanière avec l’UE qui, depuis 1995, élimine les droits de douane sur les textiles, avec jusqu’à 12 milliards d’euros annuels d’importation. Des dispositions similaires sont installés avec le Maroc (accord d’association de 2000) qui a vu l’installation d’Inditex (Zara) et des échanges de 3 à 5 milliards d’euros pas an et des salaires de moins de 400€ par mois. L’accord de libre-échange de 1998 avec la Tunisie et ses salaires de moins de 350€ par mois), les usines d’Indonésie, Thaïlande et Sri Lanka, qui représentent 5% à 10% des importations, bénéficient du SPG standard, permettant d’exploiter ainsi des travailleurs payés de 150 à 300€ par mois. Entré en vigueur en 2011, l’ALE UE Corée du Sud a éliminé les droits de douane sur la plupart des textiles, favorisant les exportations sud-coréennes vers l’UE. Les exportations textiles sud-coréennes vers l’UE ont atteint environ 1 milliard d’euros en 2019, avec une croissance de 5%-7 % par an depuis 2011. Bien que la Corée du Sud ait des normes sociales plus élevées que d’autres pays asiatiques, des rapports de 2015-2016 ont signalé des répressions contre les syndicats, remettant en question le respect des droits syndicaux. En réalité, seul la Chine reste frappée par des droits de douane.

Bref, la CES s’alerte de ce qu’un texte européen – de moindre impact qu’une loi française – non encore appliqué ne soit pas mis en œuvre. Texte qui ne prévoit d’ailleurs que des contraintes très limitées (en particulier d’information, plutôt sur la base du volontariat en l’absence de moyen de contrôle). Mais texte qui serait inutile si la France n’appartenait pas à l’Union européenne, et en conséquence pouvait imposer des droits de douanes punitifs, ou encore mieux des normes minimales de salaires, de droit du travail et de protection sociale, pour accéder à son marché intérieur. Autant de choses qui sont interdites par l’Union européenne. Union européenne dont c’est l’objet même que d’interdire la possibilité d’une telle politique de protection des travailleurs.
Ce cas d’école démontre à chaque travailleur l’urgence d’appuyer partout les vrais syndicalistes, ceux qui ne sont pas inféodés à la CES partenaire social des patrons et de son objectif statutaire de soutien à la construction européenne et à son élargissement, mais ceux qui – notamment dans nombre de syndicats de la CGT – ont pour seules priorités la défense des droits des travailleurs, en France et dans le monde. Ce qui passe par la mise en cause de ceux qui les exploitent et des superstructures qu’ils ont construites pour cela. À commencer donc en France par l’Union européenne.
Si l’on veut sortir du dumping antisocial, de l’exploitation, ce n’est pas de directives européennes dont les travailleurs ont besoin : c’est de sortir de l’Union européenne et du capitalisme !
JBC pour www.initiative-communiste.fr