
Dans son édition du 1er mars 2017 (numéro 3503), la rédaction de Télérama (du groupe « Le Monde », dont le quotidien s’est signalé ces dernières semaines par sa volonté de fixer la hiérarchie des sources en matière d’informations publiques) a réalisé un entretien avec un enseignant en Histoire de l’EHESS, M. Loris Chavanette.
À partir d’une thèse intitulée « Repenser le pouvoir après la Terreur : justice, répression et réparation dans la France thermidorienne« , une édition intitulée « 95, la Terreur en procès« , cet auteur s’inscrit dans un courant devenu « classique », à savoir, à partir de leur icône désormais disparue, François Furet, la critique radicale de ce qui fut « révolutionnaire » dans la Révolution française, et l’éloge, a contrario, de tout ce qui fut « modéré » – ou eut l’habileté de le paraître.
Pour Télérama, il s’agit « d’en finir avec la Terreur« . La courte période pendant laquelle les « terroristes » furent « terrorisés » pourrait être enfin guillotinée elle-même de l’Histoire de France. Depuis le temps que ces coalisés s’acharnent sur ces morts, Robespierre en tête, les cadavres deviendraient méconnaissables – sauf que, sur la mémoire nationale et internationale, la Dictature des Thermidoriens et consorts n’a aucun empire. Mais ils ont repris le projet emblématique des « Lumières » du 18ème siècle, l’Encyclopédie, pour, sous le contrôle d’anglo-saxons capitalistes experts en propagandes, prétendre « faire autorité« , avec leur « Wikipédia« , dont il faut lire l’article caricatural consacré à « la Terreur« . Parle t-on de « Terreur » pour désigner la violence politique de l’Ancien Régime qui a frappé tant de femmes et d’hommes pendant des siècles ? Non, c’était le règne du « Roi Soleil« , et autres déclinaisons poétiques et esthétiques. Parle-t-on de la Terreur Blanche, évoquée ici par Gilda Landini ? Comme elle n’était pas « rouge« , ce n’était pas de la « Terreur« , bien sûr. Parle-t-on de la « Terreur » pour désigner l’occupation nazie de la France ? Non, puisqu’il faut dire que ce furent ces mêmes nazis qui prétendaient traquer et arrêter les « terroristes » – les Résistants donc…
Mais quand il s’agit de 1793-94…
Pour la rédaction de Télérama, Thermidor serait une période de la Révolution où, par et pour « le respect du droit« , « les événements qui se succèdent offrent un terreau de réflexions politiques et juridiques fascinantes sur les moyens de lutter contre la violence et les dérapages politiques« . Pour justifier son propos sur la prétendue « politique modérée » de Thermidor, cet auteur parle de « main tendue« . À l’attention de qui ? Des Vendéens – autrement dit des Chouans. Donc, des politiques qui étaient favorables à ces Chouans, par histoire familiale et sociale (des nobles), par leur catholicisme, tendent la main aux… Chouans, et c’est ce que M. Chavanette appelle une « main tendue » : oui, celle que se tendent des copains et des coquins, mais, il n’y a aucune « main tendue » envers les historiques « républicains« , sauf la main avec le poing, puisqu’ils seront des milliers à être exécutés. Aujourd’hui, ce ne sont pas des Robespierristes actuels qui ont voté : l’état d’urgence, une nouvelle législation permettant aux policiers et gendarmes de faire plus facilement usage de leurs armes: qui laissent faire des assassinats extra-judiciaires décidés par le Président de la République, les agressions contre les militants et les citoyens engagés contre la loi travail, qui soutiennent les agressions, voire, les meurtres, de citoyens (affaires Adama Traoré, Théo, etc.) mais ce sont bien des Thermidoriens. Au nom de « l’État de droit« , on autorise des violences multiples contre les citoyens. C’est ce que la Constitution de 1793 entendait empêcher, et permettre au peuple de disposer d’un droit constitutionnel de se défendre. Comme par hasard, ces admirables chantres d’un « État de droit » se sont opposés à cette Constitution et à ce droit fondamental. Ils ne contestent jamais le monopole et l’étendue de la « violence » par l’État, mais si les citoyens se défendent, activement, les représentants mettent en cause leur « violence« .
Le PRCF publie ici un double droit de réponse : celui de Dominique Mutel, et celui de Gilda Landini.
S’il y a bien quelque chose que les sans-culotte ont gagné avec et après 1789; c’est un droit à la parole que bien des Thermidoriens voudraient aussi nous et leur enlever, très heureux qu’ils sont de la dictature économique qu’ils ont imposé depuis cette période, jusqu’au récent gouvernement Valls. Le libéralisme, politique comme économique, a terrorisé les travailleurs et les populations, depuis deux siècles. Il a consisté, comme avec la Loi le Chapelier, à interdire aux uns ce qu’il a autorisé aux autres : le patronat n’a jamais attendu la moindre autorisation pour se constituer en organisation et réseau. Mais il faudra un siècle et encore, pour que les organisations syndicales puissent se constituer en tant que telles. De ce qu’aura été TOUTE cette violence du pouvoir, de Thermidor, du Directoire, de la Dictature napoléonienne qui aura été leur mutation et héritage, comme des diverses Réactions royalistes, notamment avec la colonisation, les Chavanette et consorts n’ont aucun mot à dire – aucune conscience ? Ce sont les mêmes colporteurs qui, en place publique, continuent d’insulter et de diffamer Robespierre, Saint-Just, Babeuf, etc.
Nous leur tenons tête et répondons.
Dans le numéro 3503 de Télérama, vous publiez un article sur Thermidor écrit par Monsieur Chavanette qui en justifie la ‘’philosophie’’ pour mieux fustiger Robespierre une fois de plus voué aux gémonies.
Selon lui, Thermidor est ‘’fidèle aux idéaux de liberté de 1789 en réinstaurant le respect du droit’’, ce qui n’a pas empêché ses instigateurs de faire un quasi coup d’État en renversant Robespierre sans qu’il eût le moindre droit à un procès. Une certaine gêne se fait sentir d’ailleurs dans la suite de l’article quand Monsieur Chavanette avoue ‘’un retour certes ambigu, aux idéaux de liberté de 1789’’ : pense-t-il à la Terreur blanche qui a persécuté, déporté, guillotiné les robespierristes ? Comme un malheur ne vient jamais seul, le voilà qui évoque les ‘’atrocités commises dans l’Ouest’’ en se gardant bien d’évoquer celles perpétrées par les forces conservatrices, composées de la noblesse, de la bourgeoisie et du Haut Clergé, aidées par les Anglais.
À ses yeux, Thermidor ‘’va plutôt dans le sens de la liberté…et du respect du droit’’ sauf que la guillotine a continué à fonctionner pour les jacobins ; il le reconnaît dans ces lignes :’’ même si, dans les faits, il persécute les jacobins dont il fait fermer le club’’. Il est ironique d’évoquer une politique de clémence préconisée par les généraux Hoche, Carnot et Dumas père quand on sait que Carnot, par exemple, est un terroriste dont le nom se retrouvait, bien plus que celui de Robespierre, au bas des listes d’exécutions.
Monsieur Chavanette écrit cette phrase, à propos de Carlier (que Robespierre avait rappelé de Vendée parce qu’il estimait qu’il souillait la République par la férocité de ses actions) et de Fouquier-Tinville, que ‘’ceux qui les jugent considèrent qu’ils ont violé le droit naturel et les principes fondateurs de la Révolution’’. Or ces juges qui honnissent cette période sont ceux-là mêmes qui la faisaient vivre, tel le terroriste et comploteur Fouché et l’arriviste Barras.
Enfin, il ne saurait y avoir de peinture complète sans une accusation en règle de Robespierre à travers la dénonciation de la Terreur et de sa violence sans voir que la violence n’est pas unilatérale, qu’elle naît lorsque en face, on oppose aussi la violence. Les Girondins qui ont voté la mort du roi et ouvert la guerre avec l’étranger, ont plusieurs fois tenté, quand ils étaient au pouvoir, d’éliminer Robespierre et ses partisans : ils étaient loin d’être des agneaux martyrs !
Monsieur Chavanette conclut sur ‘’une France thermidorienne qui rompt avec l’idéologie jacobine et retourne à une société plus ouverte et pluraliste’’. A-t-il en tête la France des affairistes, des banquiers, des militaires ambitieux qui prennent leur revanche sur le peuple ?
Monsieur Chavanette a le droit de penser ce qu’il pense mais par souci d’équité, il serait bon que votre magazine ouvrît ses colonnes à d’autres points de vue car depuis plusieurs années, ce sont des dénigrements systématiques de cette période, des flétrissures et des crachats sur la personne de Robespierre, tenus sur les ondes et dans les journaux par des gens qui n’ont pour souci que de renier leur passé et de ternir la noblesse d’un homme dont la profondeur de pensée et la probité absolue réduisent à de pâles ombres nos hommes politiques actuels dont l’ambition est le pouvoir, l’idéal l’enrichissement et l’horizon le néant.
Dominique Mutel
La RÉACTION thermidorienne par Gilda Landini
Tiens ! Furet ressort de sa tombe dans le Télérama 3503… nous revoilà avec l’apologie des pseudo républicains de l’époque thermidorienne – terroristes déguisés sous de notables habits républicains – comme le sont aujourd’hui les mêmes crapules cachées sous les mêmes oripeaux…
Ce sujet mériterait un article – au demeurant trop long : aussi, résumons-nous de façon claire afin que le lecteur puisse s’y retrouver et se faire comme on disait au XVIIIème siècle, « une honnête opinion ».
Reprenons donc brièvement certaines affirmations lancées par le sieur Loris Chavanette, qui rappelons-le en passant, a été primé par Le Président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, le 22 mai 2014, pour sa thèse « Repenser le pouvoir après la Terreur : justice, répression et réparation dans la France thermidorienne, 1795-1797 ».
Pourquoi Télérama nous ressort-il les théories de ces vieilles badernes rajeunies au goût du jour en pleines élections ?
Serait-ce pour agiter de nouveau l’épouvantail révolutionnaire ?
Je pose la question bien que je connaisse déjà la réponse.
1/ « Thermidor marque un retour aux idéaux de justice et de liberté de 1789 » : et hop ! la boucle est bouclée ! Quelle chance ! les horribles années révolutionnaires sont balayées d’un coup de baguette magique et miracle 1789 et 1795 se rejoignent dans un idéal de liberté et de justice ! Fi de 1793 et de sa constitution la plus démocratique que la France ait jamais eue ! À la poubelle ! Plus personne ne s’en souvient. D’ailleurs plus personne ne l’étudie ! Pas plus les élèves que leurs enseignants ! Il suffit pourtant de lire ou relire cette Déclaration pour se convaincre non seulement de ses audaces, mais des rêves qu’elle peut encore susciter près de 220 ans plus tard par sa reconnaissance du droit à l’existence, du droit au travail, du droit à l’instruction, et bien sûr du fameux droit de résistance à l’oppression qui peut aller jusqu’à légitimer l’insurrection contre un gouvernement violant les droits du peuple. (« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple […] le plus sacré et le plus indispensable des devoirs »). Les journées du 9 et 10 thermidor ne sonnent pas que la fin de la terreur ; l’exécution des Robespierristes sonne aussi le glas de cette trop démocratique constitution ! Celle qui suivra, le 22 août 1795 – alors même que celle de 1793 n’a jamais été mise en application du fait même des événements – est une RÉACTION n’en déplaise à Mr Chavanette.
D’ailleurs, de quelle justice – sûrement pas de justice sociale – est-il question lorsque Boissy d’Anglas déclare à la Convention le 25 juin 1795 : « Nous devons être gouvernés par les meilleurs ; or, vous ne trouverez pareils hommes que parmi ceux qui possèdent une propriété et sont donc attachés aux lois qui la protègent et à la tranquillité qui la conserve. Si vous donnez à des hommes sans propriété les droits politiques, ils exciteront ou laisseront exciter des agitations sans en craindre l’effet ; […] et ils nous précipiteront enfin dans ces convulsions violentes dont nous sortons à peine. […] » Voilà une forme de gouvernement qui s’apparente plus à ce que les Grecs appelaient l’oligarchie : « le gouvernement de quelques-uns » qu’à la démocratie. Quant à la liberté et à la justice, jugez par vous-même la vision qu’en avaient les thermidoriens.
2/ « Thermidor mettra fin à l’absolutisme révolutionnaire comme 1789 avait mis fin à l’absolutisme monarchique ». Mettre sous le même chapeau absolutiste monarchie et révolution !
Quel efficace raccourci !
À propos, qui sont ces thermidoriens avides de justice et de liberté qui voulurent mettre fin à l’absolutisme révolutionnaire ? On désigne sous le nom de thermidoriens les vainqueurs de Robespierre, les 9 et 10 thermidor an II (27 et 28 juillet 1794) : C’est une espèce de coalition hétéroclite et éphémère qui va des ex-conventionnels terroristes comme Fouché, Collot d’Herbois, Barras, Fréron – ces deux derniers, qui après être passés à Marseille, ont fait zèle à Toulon où Stanislas Fréron fit fusiller 700 à 800 personnes en décembre 1793 pour mettre fin à l’insurrection fédéraliste, aux anciens girondins en passant par le centre mou de la révolution : le fameux marais Sieyès, Boissy d’Anglas, Cambacérès. En apparence, sauf l’hostilité à Robespierre, [qui devient le parfait bouc-émissaire] pour des raisons diverses d’ailleurs, ils ne sont d’accord sur rien. En apparence seulement. Car comme le soulignaient d’ailleurs Furet et Richet dans leur ouvrage La révolution française, ce qui les réunit c’est la poursuite d’un double objectif : celui de la conquête et de l’intérêt. Il ne s’agit plus de créer l’homme vertueux mais de profiter (au sens plein du terme) des acquis de la révolution. Les thermidoriens sont, pour la plupart, des bourgeois (à part Barras qui était vicomte) qui se méfient de la « canaille ». Ils sont des jouisseurs. Ils aiment l’argent, veulent mener enfin une vie fastueuse et ont un goût immodéré du pouvoir. Marat ne disait-il pas à propos de Tallien « Tallien… un intrigant cupide qui cherche des places. ». C’est l’époque de la réouverture des salons dans lesquels se retrouvent banquiers et agioteurs, les nobles rentrés en masse d’exil, les nouveaux riches ayant fait fortune grâce aux bénéfices de guerre et dans la spéculation des assignats et les biens nationaux.
Et Fouché donc qui apparaît comme l’âme du complot du 9 thermidor : il avait gagné son surnom de « mitrailleur de Lyon », pour avoir substitué à la guillotine, jugée trop lente, l’exécution de masse des habitants jugés suspects par la mitraille à l’automne 1973. Rappelé à Paris le 7 germinal (27 mars 1794) à la demande de Robespierre, il justifie alors la violence de la répression lyonnaise en disant « le sang du crime féconde le sol de la liberté et affermit sa puissance ». À son retour, il a une entrevue avec Robespierre que raconte Charlotte Robespierre dans ses Mémoires.
« Mon frère lui demanda compte du sang qu’il avait fait couler et lui reprocha sa conduite avec une telle énergie d’expression que Fouché était pâle et tremblant. Il balbutia quelques excuses et rejeta les mesures cruelles qu’il avait prises sur la dureté des circonstances. Robespierre lui répondit que rien ne pouvait justifier les cruautés dont il s’était rendu coupable ; que Lyon, il est vrai, avait été en insurrection contre la Convention nationale, mais que ce n’était pas une raison pour faire mitrailler en masse des ennemis désarmés. » (Pour un « tyran avide de sang », voilà un discours qui ne correspond pas aux vieilles rengaines anglaises et royalistes.)
Voilà donc les hommes qui rêvaient de justice et de liberté !!! De qui se moque-t-on là ? Par opportunisme ou par volonté politique ces hommes-là ont su s’offrir, en sacrifiant les Robespierristes, la virginité politique qui leur faisait défaut. Ils purent alors profiter d’une vie de faste à l’instar de Barras alors que la misère et la disette faisait rage un peu partout.
3/ « Après la terreur, on modère la violence politique, on pratique la politique de la main tendue » ! Faut-il que le sieur Chavanette soit bien sûr de l’ignorance des masses pour avancer de telles insanités ! D’abord quelque 110 guillotinés en 3 jours du 10 au 12 thermidor. Puis, « la dynamique va dans le sens du respect des formes ordinaires de justice » ose-t-il encore écrire ! A croire que la terreur blanche n’a jamais existé !!! Dans le sud-est, à Lyon, à Marseille, des républicains emprisonnés sont massacrés. Le 25 mai 1795, à Tarascon, trois cent hommes masqués font irruption dans le fort où avaient été enfermés les Républicains et les emmènent au château du roi René bâti sur le roc, au bord du Rhône. Là, ils les précipitent dans le vide un à un. « Au fur et à mesure que les corps tombant sur les pointes aiguës du rocher s’y déchiquetaient, des applaudissements sauvages montant tout au long de la chaussée… Sur les bords de la chaussée, les chiens se nourrissaient des lambeaux de chair humaine, tandis que les assassins parcouraient la ville en dansant la farandole. » Le Moniteur 1795.
La main tendue !!! Chavanette n’a donc jamais entendu parler des muscadins ? 2000 à 3000 de ces gandins parcouraient en courant les rues de la capitale, armés de leur trique plombée, pratiquant une véritable vendetta ! C’est eux qui, par leurs violences rentrèrent dans le Panthéon et en sortirent le corps de Marat qu’ils jetèrent aux égouts ! Ils multipliaient les affrontements, dont certains dégénéraient en meurtres, viols de jacobines. Il est utile de rappeler que cette terreur blanche s’est faite en dehors de tout cadre juridique – à l’inverse de la terreur révolutionnaire – sans recours à des tribunaux, en dehors de toute légalité. Ceux qui prétendent restaurer l’ordre, commencent donc par se faire justice eux-mêmes, s’affranchissant de toute autorité judiciaire alors qu’ils affirmaient se battre pour rétablir l’autorité.
4/ On ne s’étalera pas sur les guerres de Vendée qui valent à elles seules un article : on a échappé de peu au terme de génocide, difficile quand on sait par exemple que les Sables d’Olonne furent une commune bien républicaine et le Château d’Olonne pourtant accolée est demeurée royaliste malgré les appels des républicains des Sables. Chavanette se complaît à rappeler les « atrocités perpétrées par la terreur » – il évoque même « les crimes contre l’humanité », expression pour le moins anachronique – en dirait-il autant des guerres napoléoniennes en Espagne ????- mais il « oublie » que les Chouans ont été traîtres à la France en permettant aux Anglais de débarquer à Quiberon en juin 1795.
5/ Les historiens marxistes, qui ont décidément de son point de vue, des œillères, « ont estimé que Thermidor avait brisé le cou à la révolution sociale de l’égalité ». En fait, ils n’avaient rien compris, contrairement à « l’historiographie plus libérale qui met l’accent sur la modernité de la France thermidorienne retournant à une société plus ouverte et pluraliste ». Encore une fois c’est faire fi des coups portés par les thermidoriens aux couches populaires lors des deux dernières journées révolutionnaires du 1er avril et 20 mai 1795. Réclamant du pain et l’application de la Constitution de 1793, la foule envahit la Convention : celle-ci ordonne alors le désarmement général des militants et les Montagnards sont emprisonnés, déportés ou condamnés à mort. Ce doit être cela une société ouverte et pluraliste…
L’armée est-elle le meilleur outil pour faire respecter l’ordre public et terminer une révolution, nous interroge Chavanette : Robespierre avait trouvé la réponse bien avant lui…
Dans les temps de troubles et de factions, les chefs des armées deviennent les arbitres du sort de leur pays et font pencher la balance en faveur du parti qu’ils ont embrassé. Si ce sont des César ou des Cromwell, ils s’emparent eux-mêmes de l’autorité. Robespierre, au Club des Jacobins en 1792. « Le pire de tous les despotismes, c’est le gouvernement militaire » (Robespierre).
Alors oui n’en déplaise à M. Chavanette, Thermidor fut bien une réaction : politique (entre les constitutions de 1793 et 1795), sociale (avec des inégalités abyssales- à l’instar de celles que nous connaissons aujourd’hui), intellectuelle, puisque contrairement à ce que prétend Chavanette, la période foisonnante de la pensée ne fut pas celle de Thermidor, mais bien celle des années des clubs politiques de 91 à 94.
Finissons ce petit rappel avec ce qu’il appelle fielleusement « le vocabulaire manichéen de la terreur » !
Comment peut-on, en tant qu’historien, ne pas tenter de replonger les mots, les idées, les hommes, leurs actions dans un contexte précis !
Tous furent des hommes de leur temps, pris dans les contradictions et les découvertes de leur temps : tous appréhendèrent ces expériences politiques avec leur éducation et leur culture : un historien n’a pas à les juger, il doit expliquer des processus. Le vocabulaire des révolutionnaires ne fut pas plus manichéen que celui des thermidoriens qui refusèrent pour certains de prononcer le R de révolution, remplacèrent le mot citoyen par celui de Monsieur plus en vogue dans les salons, refusèrent le tutoiement démocratique et égalitaire, firent du mot jacobin une insulte, proscrivirent l’exécution de la Marseillaise. Le seul port du vêtement traditionnel des sans-culottes entraînait l’arrestation immédiate de l’auteur d’un tel crime… Et oui, l’idéal révolutionnaire fait encore peur… et il est de bon ton de passer pour quelqu’un refusant les « extrêmes », mêlant ainsi sans vergogne monarchie absolutiste et révolution égalitaire, communisme et nazisme… Cette pseudo-gauche, vêtue des oripeaux de l’intellectualisme et du progressisme garde, comme les thermidoriens, toute sa méfiance envers le petit peuple « suspect de convulsions violentes ».