Alors qu’un violent mouvement de colère mobilise nombre d’agriculteurs, la commission écologie et agriculture du PRCF propose une réflexion nuancé pour analyser les différentes composantes du mouvement et les revendications antagonistes qui s’y exprime. Une manière de voir ce qu’il faut soutenir et contre quoi il faut lutter en solidarité avec les paysans.
Communiqué de la CNT Ecologie et Agriculture du PRCF au sujet des manifestations actuelles des agriculteurs.
Une situation explosive
Les mobilisations d’agriculteurs se multiplient en France depuis plusieurs mois, à l’initiative de la FNSEA et des JA, s’intensifiant de plus en plus chaque jour. Ce qui a commencé par des panneaux retournés à l’entrée des communes est devenu aujourd’hui une contestation plus franche et généralisée de tous les agriculteurs et de leurs représentants syndicaux.
Cette contestation part d’une réalité de terrain : le métier d’agriculteur est mis en péril, les inquiétudes exprimées sont sérieuses et bien réelles, principalement :
- l’appauvrissement du monde agricole généralisé
- la moitié des agriculteurs actuellement en activité sera en retraite d’ici 5 ans
- la France importe la majorité de ce qu’elle consomme et n’a pour ainsi dire qu’une souveraineté alimentaire liée au marché mondiaux
- Il existe une véritable problématique liée à la ressource en eau dans notre pays. La fréquence et la force des sécheresses étant amenées à s’empirer dans les années à venir.
Revendications des JA et de la FNSEA
Malheureusement les solutions envisagées par la FNSEA et la JA ne sont, pour les résumer, qu’une vaste fuite en avant vers un système encore plus intensif et encore plus agro-industriel :
- En effet à propos de la ressource en eau la JA dénonce une “fiscalité environnementale punitive” et notamment une augmentation de 40 % de la redevance pour le prélèvement de l’eau. Là encore la thématique de fond n’est pas mise en avant, l’agriculture étant très consommatrice d’eau. Des techniques permettraient de faire de larges économies en eau, voire même de stopper l’arrosage artificiel : arrêt du labour[1], mise en place d’un plan agroforestier, récréation d’un humus[2] ou d’un paillage qui permet de conserver l’humidité du sol, etc.
- Que penser d’une revendication qui proclame l’arrêt du 4 % jachère ? Alors même que les jachères sont utilisées dans les plans d’assolement pour recréer de la matière organique et reconstituer la fertilité minérale des sols via l’activité des micro-organismes qui vivent. Revendiquer l’arrêt du 4 % jachère, c’est considérer le sol comme un substrat inerte devant être systématiquement amendé par des engrais chimiques.
- Une autre revendication est celle de ne pas considérer les exploitations agricoles comme relevant de la directive européenne sur les émissions industrielles. Pour les JA, une ferme n’est pas une industrie. Nous pourrions être d’accord avec cette vision des choses, à condition de défendre comme le fait par exemple le MODEF, un modèle d’exploitation familiale. Mais ce n’est pas la ligne des JA, ni de la FNSEA. En vérité, ce sont eux qui défendent les fermes des mille vaches[3], et eux qui défendent l’agriculture spécialisée porcine en Bretagne[4]. Le modèle agro-industriel et hyper intensif est celui qui produit le plus de pollution. On comprend alors que cette revendication profite, en fait, aux gros agriculteurs et à l’agro-industrie.
- Concernant l’usage de produits phytosanitaires, une revendication tout à fait logique et entendable et formulée de manière simple : « Pas d’interdiction sans solution ». Mais que penser de cette revendication au vu de l’ensemble ? Il n’est pas question ici de réclamer un plan d’accompagnement permettant de sortir de l’agro-chimie par la lutte biologique, mais plutôt de persister dans les pratiques actuelles.
- Les JA dénoncent l’interdiction de produire sur les sites Natura 2000. Il est précisé que 12 % des surfaces en Natura 2000 seraient exclues de la production agricole. Or il n’en est rien, il n’existe aucune obligation en la matière. Par contre, Natura 2000 permet certaines rémunérations de changement des pratiques, sur la base du volontariat.
Une fois de plus , il est clair que la FNSEA souhaite des retombées directes sous forme de crédits d’impôts et autres allégements fiscaux et non remettre en cause un système de production intensif, mortifère et caduque face aux défis qui attendent l’humanité. LA FNSEA est le medef du monde paysan.
Sans syndicalisme de combat, il n’y a aucune chance d’un avenir meilleur pour les travailleurs paysans !
Un étrange soutien politique…
Nous avons pu constater ces derniers jours une tentative de récupération du mouvement de la part de tous les partis et groupes politiques réactionnaires ou conservateurs. Citons en premier lieu le RN, champion toutes catégories dans l’opportunisme, puisqu’il souhaite sortir des traités de libre échange[5], en ayant voté les accords MERCOSUR[6] et en refusant la sortie de l’UE !
Les autres franges de la droite n’étant pas en reste, les soutiens à la FNSEA de la part de groupes allant des républicains à reconquête, se multipliant depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux. On peut noter la position de de Bruno Retailleau, président des LR au Sénat, qui déplore les 30 ans de désindustrialisation de la France et craint qu’il en soit de même pour l’agriculture[7] … En oubliant au passage que lui et son groupe ont contribué directement à la désindustrialisation du pays, et à l’appauvrissement des agriculteurs.
… et médiatique !
Pour les médias aux ordres, il est habituellement impensable de parler de mouvement sociaux sans utiliser les qualificatifs de “prise d’otage”, “péril pour la république”, “blocage liberticide”, “privilège de certains”, voire carrément à appeler à la répression “à balle réelle” par les forces de l’ordre[8]. Pourtant, nous assistons à des dégradations factuelles de symboles républicains : préfectures, sites administratifs, bâtiments publics[9][10]. Mais aucune réaction médiatique comme lorsque les raffineurs ou les cheminots font grèvent, aucune réaction comme lors des gilets jaune ou des retraites. Pourquoi ?
Les Soulèvements de la terre ont-ils eu cette chance, eux qui n’ont dégradé que du capital privé à Sainte Soline ? Le bien privé est donc plus important que le bien commun dans nos médias, c’est factuel.
Soutien critique et perspectives progressistes
Depuis de nombreuses années, le PRCF dénonce la situation précaire des travailleurs agricoles au profit des grosses exploitations. Plus que jamais il est urgent de revoir la planification agricole face aux enjeux économiques, écologiques et de souveraineté alimentaire. Le PRCF soutient les travailleurs de la terre et aux exploitants familiaux et reprend le mot d’ordre du MODEF, “ La bataille du revenu est une bataille essentielle ”. Tout en restant critique face aux laqués réactionnaires de la FNSEA et de la coordination rurale.
La commission nationale de travail Ecologie-Agriculture du PRCF propose les solutions suivantes :
- Financement, par l’Etat, d’un vaste plan d’agroforesterie, accompagné de formations mais aussi d’une mise à disposition de moyens matériels et humains.
- Contrôle des marchés par l’entremise d’un Office National Interprofessionnel du Blé (ONIB), comme durant le Front Populaire, qui permettrait la mise en place d’un prix minimum garanti (idée du MODEF[11])
- Collectivisation, via un système de CUMA, des semences et des stocks de produits phytosanitaires avec un plan sur une dizaine d’années pour stopper intégralement l’usage de ces produits (ou en tout cas le limiter au strict minimum).
- Mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation, telle que voulue par la Confédération Paysanne[12]
- Poser la question de la nationalisation de la grande distribution, nationalisation impossible dans le cadre des traités européens
Cette liste n’est pas exhaustive, et ne constitue pas la ligne agricole du PRCF. Il s’agit seulement pour nous d’une piste solide de réflexion.
Attal doit parler ce vendredi 26 janvier 2024 pour sûrement octroyer des primes au monde agricole en lutte. Ces quelques rustines ne suffiront pas à apporter des solutions concrètes, c’est le capitalisme qui conduit à la perte de l’agriculture paysanne sensée et rémunératrice pour les travailleurs agricoles. Seul le communisme permettra l’émancipation des travailleurs agricoles, et de tout le prolétariat, comme ce fut le cas à Cuba !
La Commission Ecologie-Agriculture du PRCF
[1]Restauration de la microporosité du sol
[2]Strate superficielle d’un sol composée principalement de matière organique en décomposition, l’humus permet de recréer de la fertilité minérale par décomposition de la matière organique.
[3]https://www.action-agricole-picarde.com/ferme-des-1000-vaches-fdsea-et-ja-regrettent-deja
[4]https://www.jeunes-agriculteurs.fr/session-porcine-2023-de-jeunes-agriculteurs/
[5]https://video.lefigaro.fr/figaro/video/il-faut-sortir-lagriculture-francaise-des-accords-de-libre-echange-declare-jordan-bardella/
[6]https://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/16/(num)/1804
[7]https://www.publicsenat.fr/actualites/parlementaire/colere-des-agriculteurs-les-lr-mettent-sur-la-table-une-nouvelle-proposition-de-loi-pour-arreter-demmerder-les-paysans
[8]https://www.youtube.com/watch?v=POqKqa9w6wc
[9]https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/colere-des-agriculteurs-trois-questions-sur-le-comite-d-action-viticole-qui-a-fait-exploser-la-dreal-a-carcassonne_6319233.html
[10]https://www.petitbleu.fr/2024/01/24/manif-agricole-plusieurs-points-de-blocage-ce-matin-a-agen-la-pression-saccentue-sur-la-prefecture-11716949.php