Ancien dirigeant d’Attac, puis du M’PEP, Aurélien Bernier n’est plus membre d’aucune organisation mais écrit sur les questions politiques et se situe dans le courant intellectuel de la démondialisation. Il a notamment publié Désobéissons à l’Union européenne (Mille-et-une-nuits, 2011), Comment la mondialisation a tué l’écologie (Mille-et-une-nuits, 2012) et La gauche radicale et ses tabous (Seuil, 2014), dans lequel il analyse l’échec du Front de gauche face au Front national. Il collabore également au Monde diplomatique.
Il a accepté de répondre aux questions du journal mensuel du PRCF Initiative Communiste. www.initiative-communiste.fr supplément électronique d’Initiative Communiste le mensuel du PRCF vous propose de retrouvez gratuitement cette interview.
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Initiative Communiste : Pourquoi selon toi est-il stratégique de rompre avec la « construction européenne » pour reconstituer une alternative progressiste ?
La rupture avec l’Union européenne n’est pas seulement stratégique, c’est un préalable à toute politique de gauche. Dès la fin de la Seconde guerre mondiale, l’objectif qui se cache derrière la construction européenne est le renforcement du capitalisme, avec la création d’un axe atlantique, militaire et commercial. Lorsqu’un État comme la France s’oppose à la tutelle des États-Unis par la voix du Général De Gaulle, les défenseurs de ce projet cherchent à court-circuiter l’échelon politique en prenant la voie juridique. Dans les années 1960, ils tentent d’imposer la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. Cette stratégie sera définitivement concrétisée en 1992, lors de l’adoption du traité de Maastricht, qui intègre le droit européen à la Constitution française. Depuis cette forfaiture, le droit communautaire libre-échangiste s’impose aux États. Il interdit de contrôler les mouvements de capitaux pour les taxer, de réguler les flux de marchandises pour relocaliser ou de développer les services publics à l’abri de la concurrence avec le privé. Toute politique de gauche devient donc juridiquement et matériellement impossible.
Initiative Communiste : Au PRCF, nous disons qu’il n’y a pas lieu d’opposer la solidarité de classe internationale des travailleurs et le patriotisme républicain. Quelle est ton appréciation sur ce point ?
Les opposer est effectivement ridicule, car le patriotisme républicain et l’internationalisme sont les deux principaux piliers d’une véritable stratégie de gauche. Pour mettre en place, en France, une politique anticapitaliste, il faut démondialiser. Il ne s’agit pas simplement de sortir de l’euro ou de faire du protectionnisme, qui sont deux mesures nécessaires. Il faut restaurer une souveraineté nationale pleine et entière pour retrouver la possibilité juridique et matérielle de lutter contre les mutinationales. Cela implique de réformer la Constitution française pour ôter cette référence au droit européen, sans quoi toute mesure anticapitaliste serait de fait inconstitutionnelle.C’est ce que j’ai appelé la « désobéissance européenne ». Mais la souveraineté nationale n’est pas un but, ce n’est qu’un moyen. Elle doit permettre de distribuer les richesses, de nationaliser, d’instaurer une vraie démocratie… Voilà pour le premier pilier de la démondialisation. Pour autant, de nombreux problèmes ne peuvent se régler à l’échelle nationale : la paix, les droits de l’Homme, l’écologie… Il faut donc une véritable coopération internationale, dans le domaine marchand, mais aussi et surtout dans le non-marchand, comme l’éducation, la santé ou la culture.
Initiative Communiste : Selon toi, quel type d’alliance politique faut-il construire pour promouvoir une sortie de l’UE sur des bases progressistes ?
Cette question est très complexe. Le Parti socialiste a quitté la gauche depuis longtemps. Le PCF est toujours lié au PS et ne comprend pas qu’il se condamne ainsi à l’échec électoral. De fait, le Front de gauche agonise. J’ai longtemps cru que le Parti de gauche pouvait porter une vision anticapitaliste basée sur la démondialisation et l’internationalisme, mais je commence à douter. Cherchant des alliances à tout prix, il se tourne à présent vers Europe Écologie Les Verts ou Nouvelle Donne, qui sont ouvertement favorables à la construction européenne. Du côté des souverainistes comme Jean-Pierre Chevènement ou Nicolas Dupont-Aignan, l’objectif affiché est le redressement de la France dans la concurrence internationale, ce qui n’a rien à voir avec l’internationalisme et l’anticapitalisme. Je crois qu’il y a un énorme travail intellectuel et d’éducation populaire à faire avant de construire des alliances.
Initiative Communiste le PRCF, et sans doute les Assises du communisme et différents mouvements progressistes, appellent à une manifestation (ndlr le 30 mai à Paris place E Herriot à 14h) pour commémorer dans la lutte le Non trahi du 29 mai 2005. Comment selon toi, faire germer une alternative politique clairement progressiste, nationale et antifasciste qui soit à la fois tournée contre le FN et contre le Parti Maastrichtien Unique
Cette initiative est excellente et indispensable. Il faut bien voir que Marine Le Pen fait main basse sur le rejet (très légitime) des politiques européennes par l’opinion publique. Je crains qu’un seul grand parti pense déjà à célébrer les dix ans du Non et à en faire un grand événement politique : le Front national. Si nous lui laissons le champ libre, si nous ne faisons pas entendre le Non de gauche, alors nous abandonnons sans combattre. Mais si nous nous mobilisons seulement pour manifester « contre le Front national », le combat est perdu d’avance. Nous devons célébrer le 29 mai 2005 avec un contre-projet à opposer à Marine Le Pen : celui d’une démondialisation au service de la lutte des classes et de la refonte des relations internationales sur des bases coopératives. Les partis de gauche doivent s’extraire du calendrier électoral pour y réfléchir de toute urgence.
Article initialement publié le 27 mai 2015
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