Notre camarade Aymeric Monville a récemment été interviewé par le média chinois CGTN au sujet des déclarations bellicistes de la Première ministre japonaise concernant Taïwan. Avec son accord, nous publions ci-dessous le texte préparatoire qu’il avait rédigé pour cette interview.
« Si des navires de guerre étaient employés et qu’un blocus maritime [sur Taïwan] impliquât l’usage de la force, je pense que cela constituerait tout à fait une situation dont on pourrait considérer qu’elle menace la survie du Japon. »
Ces propos menaçants de la Première ministre Takaichi Sanae reviennent implicitement à considérer que cette île chinoise, colonisée cinquante ans durant par le Japon, relève aujourd’hui encore d’un intérêt vital pour Tokyo. Ils s’inscrivent dans la ligne dure du Parti libéral-démocrate, déjà bien identifiable sous Abe Shinzō : celle d’une remilitarisation décomplexée du Japon grâce à une modification de la Constitution permettant des interventions dépassant la seule défense du territoire. Une rupture avec les principes de l’après-guerre, facilitée par une forme d’aveuglement persistant quant aux crimes du Japon impérial, matérialisé notamment par les visites régulières de dirigeants au sanctuaire Yasukuni, où sont honorés des criminels de guerre.

Le refus de reconnaître le caractère chinois de Taïwan va pourtant à l’encontre des décisions de la communauté internationale, qui, dans son immense majorité, adhère au principe d’« une seule Chine ». Rappelons que l’ONU a adopté en octobre 1971 la résolution 2758 sur la réintégration de la République populaire de Chine dans ses droits légitimes au sein de l’Organisation. L’île de Taïwan avait subi cinquante années de colonisation japonaise, à la suite de l’un des nombreux traités inégaux ayant tragiquement marqué le XIXᵉ siècle chinois. De telles déclarations ne peuvent donc qu’attiser les tensions au moment même où un règlement pacifique semble se rapprocher : le Guomindang, actuellement dans l’opposition à Taïwan, vient de rappeler par la voix de sa nouvelle présidente, Mme Zhèng Lìwén, son attachement au consensus de 1992 établissant une politique d’« une seule Chine » entre Taïwan et la République populaire de Chine.
Face à ce qui s’apparente clairement à une ingérence étrangère d’inspiration néofasciste, la Chine rappelle le droit international issu de la victoire de 1945 contre le militarisme japonais qui avait ravagé l’Asie. Il n’est pas inutile de rappeler que Tokyo employait déjà les mêmes termes provocateurs que Mme Takaichi pour justifier sa politique d’agression : ses intérêts vitaux et ceux de sa prétendue « sphère de coprospérité » auraient été menacés en Mandchourie, puis jusqu’à Pearl Harbor. En Europe, Hitler invoquait lui aussi son « espace vital » pour justifier ses entreprises meurtrières. La rhétorique n’a guère changé : ce sont toujours les mêmes bruits de bottes.
En raison du rôle décisif joué dans la défaite de l’expansionnisme japonais, la Chine occupe aujourd’hui un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. On constate qu’elle y adopte un rôle de temporisation et ne fait que rappeler le droit international. Contrairement à ce qu’affirment les médias occidentaux, sa réponse est calibrée et proportionnée.
Certains comparent la situation actuelle entre la Chine et le Japon autour de Taïwan au conflit russo-ukrainien. Mais comparaison n’est pas raison : une distinction entre Ukrainiens et Russes était officiellement reconnue, non seulement à l’époque soviétique mais déjà avant elle, tandis qu’il n’existe ici qu’une seule Chine et un seul peuple — sur le continent comme à Taïwan. On peut toutefois relever un point commun : les effets délétères de la résurgence du fascisme. La politique néofasciste et révisionniste des dirigeants japonais rappelle en bien des points celle des néonazis ukrainiens qui, notamment depuis 2014, persécutaient les locuteurs russophones et interdisaient les classiques russes : négation raciste des Russes d’un côté, négation raciste des Chinois de l’autre. Plus largement, on voit le coût humain dramatique qu’entraîne le retour du fascisme dans un monde traversé par les contradictions croissantes du capitalisme. Pensons, entre autres, aux conséquences de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite la plus radicale en Israël.
Aymeric Monville, 19 novembre 2025
PS : Dans la traduction des propos de la Première ministre japonaise, nous avons rétabli l’imparfait du subjonctif de rigueur lorsque deux verbes figurent dans une proposition conditionnelle introduite par si. La consultation de nombreux sites d’information reproduisant cette citation avec un indicatif fautif montre en effet à quel point cette règle semble désormais ignorée d’une partie de la profession journalistique.





