Je n’ai pas l’habitude des hyper-grandes surfaces. J’ai une préférence pour ma supérette de village, plus chère mais plus proche aussi. Le choix, plus restreint, de ces petits magasins permet de tenir un budget plus serré : les tentations sont moins grandes. Néanmoins, pour une fois, je me suis rendu à la « Toison d’or » de Dijon : un gigantesque centre commercial, comme il y en a dans chaque grande ville de France.
Les galeries commençantes sont belles et lumineuses. Des enfants jouent aux archéologues dans des bacs à sable, où ils sont censés trouver de gigantesques fossiles. Fossiles, qu’une jeune employée est chargée de replacer et de réensabler une fois le jeu terminé.
« Faites la rêver » annonce une bijouterie. Puis, sans même avoir le temps de formuler un sarcasme machiste de mon cru : « L’intérieur de vos rêves » chez Maison du Monde. J’entre. Deux minutes plus tard, le rêve ne se réalisera pas. Puis, c’est moins cher chez IKEA.
Le rêve : il n’y a pas une seule enseigne qui ne vous en vend pas. Parfois ce rêve s’accompagne de vitesse, chez les opérateurs téléphoniques et certaines concessions automobiles.
Je vais au Carrefour, j’ai la dalle, je ne vais encore pas faire d’économie sur les chips… Devant le rayon Bio, la laveuse travaille toute seule ou presque :
« -Hé, regarde, ils font même travailler les peluches ici » s’exclame une dame pour son fils.(photo 1)
Hum… J’espère qu’il est syndiqué nounours… Bon, on ne va pas se plaindre de la disparition d’un métier pénible et sous-payé quand même ? Mais pourquoi foutre une peluche dessus ? C’est peut-être simplement un truc mignon pour égayer un peu… Faut que j’arrête la parano/le cerveau un peu !
Je vais payer, je regarde ma liste. Putain, j’ai craqué ! Décidément, j’arriverai jamais à être discipliné.
J’arrive devant les caisses. Mon regard est happé par une affiche rose : « De 10h à 12h, et de 14h à 17h viens jouer à l’assistant(e)s de caisse ! » (photo2)
Il y a des centaines de gens autour de moi. J’enrage.
Alors c’est ça, hein ? Un jeu ?
Madame, vous jouiez à la dînette et à la marchande quand vous étiez petite ? Sachez que vous pouvez encore le faire ! Pour votre plaisir et nos bénéfices.
Au connard qui a fait l’affiche : les troubles musculo-squelettiques font aussi partie du jeu ? Ils sont forts quand même pour réinventer l’esclavage mais avec le sourire.
J’ai l’impression que l’on vient de me cracher au visage. Le monde du rêve vient de se refermer. Lundi, je retournerai «jouer» au prolétaire. Ma dose de rêve est finie.
En sortant du magasin, je repense à mon cousin anarchiste sur Angers : « Quand ils ont construit le Pôle Emplois à Montplaisir, j’te jure que j’ai eu envie d’le cramer. Ils nous ont dit qu’ils allaient nous «prendre la main» pour trouver le travail de nos rêves. On n’est pas des gosses devant une boite de bonbons ! »
Eh bien, apparemment, nous sommes bien des gosses devant une boite de bonbons. Je range mes courses, met le contact. Je m’imagine quelques instants au volant d’un gros bolide, une paire de Ray Ban Aviator sur le nez. (Avoir ma carte ne veut pas dire que je sois au-dessus du Soft Power yankee.)
Faudrait que je lise Clouscard un jour. Mais pour l’heure, j’ai bien trop de trucs à corriger.
Pour l’heure, il faudrait quitter le pays des merveilles.
Changer le réel.
TL – commission écologie du PRCF pour www.initiative-communiste.fr