Dans un article publié le 15 novembre, L’Humanité a donné la parole à Thibaud – un doctorant en physique, chercheur à l’Ecole Normal Supérieur, violemment tabassé par la police lors d’une manifestation pour le retrait de la Loi Travail à Paris le 19 mai dernier. Des violences qui avaient été prises en photo par un photographe de l’AFP et qui avaient été publiées par la presse. Mais le 15 novembre, c’est bien Thibaud qui était convoqué devant un tribunal, poursuivi pour de soit disant « violences contre les forces de l’ordre ».
Le procès le 10 novembre du policier ayant tabassé un jeune lycéen de 15 ans devant le lycée Bergson à la même période – là aussi dans le cadre de la répression du mouvement pour le retrait de la Loi Travail – a pu démontrer de manière éclatante la façon dont fonctionne ces violences policières : lorsque des policiers attaquent et violentent un ou des manifestants, commettant des violences policières contre des manifestants pacifiques faisant usage de ce qui n’est rien moins qu’une liberté constitutionnelle, il suffit qu’ils portent plainte pour « violence contre agent dépositaire de la force publique » ou « rebellion » pour justifier de cette violence auprès de tribunaux politique, d’une justice de classe complaisante. En l’absence de vidéo, de photos, de témoignage nombreux de citoyens, des juges aussi peu scrupuleux qu’aux ordres donnent alors crédit à ce qu’il faut bien appeler des faux témoignages. Un mécanisme vicieux implacable si ce n’est par la mobilisation solidaire, tous ensemble des travailleurs pour défendre chacun de ces milliers de camarades, de syndicalistes, de travailleurs, d’étudiants attaqués lors de ce qu’il faut bien appeler des procès politiques. Rappelons que s’agissant du lycéen de Bergson, violemment battu par un policier pendant qu’un de ses collègues le tenait et qu’un troisième les aidés, l’auteur des coups a déclaré devant le tribunal avoir prévu de porter plainte contre le jeune, et n’en avoir été empêché que par les vidéos prises par les téléphones de ses condisciples diffusées sur les réseaux sociaux. Ses collègues ont eux témoignés devant l’IGPN de n’avoir vu aucune violence. Des mensonges qui ne font l’objet d’aucunes poursuites à ce jour ! Ce qui n’est pas un cas isolé, mais visiblement un système bien installé, au vu des enquêtes réalisés par des journalistes consciencieux.
On comprend comment les policiers violents utilise les mécanismes de #outrage et #rebellion pour justifier les #violencespolicières #bergson https://t.co/Q4885PIU6P
— PRCF (@PRCF_) 10 novembre 2016
L’aveu: police refuse d’enregistrer les plaintes
Dans le cas de Thibaud, les incohérences des témoignages des policiers, le témoignage apporté par les photos de presse, décrivent bien une réalité similaire, que les millions de travailleurs ayant manifestés pour le retrait de la Loi Travail ont pu constater. Et le refus des services de polices d’instruire les plaintes pour violences policières n’est qu’un signe supplémentaire de la nature des ordres donnés aux autorités policières par ses commanditaires gouvernementaux. Apprendrons nous dans un futur livre ce qu’a été le détail des ordres de Hollande, Valls, Cazeneuve et Macron pour réprimer dans le sang les manifestations pour le retrait de la Loi Travail, à l’image du livre de Buisson racontant comment Sarkozy avait ordonné au CRS de laisser les jeunes manifestants contre le CPE se faire agresser ? l’histoire nous le dira.
En tout état de cause, les faits sont tétus et valent aveux : alors que la police refuse toujours d’enregistrer les plaintes contre les violences policières subies par Thibaud, ce dernier est convoqué à comparaitre devant un tribunal. Qui s’étonnera d’ailleurs de cette justice qui n’a toujours pas réussi à instruire la totalité des affaires dans lesquelles Sarkozy est signé, qui aura mis plusieurs années pour faire comparaitre Cahuzac, un ministre du Budget étant pourtant passé aux aveux (et cela uniquement grâce à la mobilisation de journalistes consciencieux !) mais qui embastille en vitesse et à la chaine des manifestants, des syndicalistes coupables de défendre leurs droits, leurs emplois ! Rappelons que si la justice aux ordres du gouvernement voulait condamner en comparution immédiate Thibaud et si elle a été capable de faire comparaître en quelques mois les Air France, elle n’a toujours pas fait comparaitre les responsables de l’homicide de Rémi Fraisse, jeune homme tué par l’explosion d’une grenade jetée par des gendarmes, sur le chantier d’un barrage, chantier reconnu depuis comme illégal !
Face à la violence policière, à la répression judiciaire, à ce qu’il faut bien appeler une police et une justice politique, et donc des victimes et des condamnés politiques, le devoir de chaque citoyen, de chaque homme libre et soucieux de défendre sa liberté est d’affirmer sa solidarité avec les victimes de ces violences, de cette répression. A la lecture du témoignage de ce jeune homme qui ne peut se dire #JesuisThibaud !
C’est tous ensemble, debout, que nous pouvons faire reculer ces méthodes fascisantes. En commençant par refuser de nous taire, et en partageant ces témoignages autour de nous. Et en répondant présent à tous les appels à la mobilisation, à la solidarité pour stopper la répression de classe visant à terroriser, syndicalistes, étudiants, lycéens et travailleurs qui oseraient contester la dictature du Capital.
JBC pour www.initiative-communiste.fr
L’agression par un policier de Thibaud M., 25 ans, avait fait la une de l’Humanité en mai. Jugé mardi matin pour « jet de projectiles », il témoigne.
« Je viens de terminer ma thèse de physique à l’École normale supérieure – j’ai écrit le plan en garde à vue. Je ne suis pas encarté, j’ai commencé à militer pendant la COP21, puis au comité de mobilisation de Jussieu contre la loi El Khomri. Je pensais que c’était difficile de mobiliser à l’ENS sur des sujets liés au travail. J’avais tort, puisqu’en juin, on a réussi à mettre en place une caisse de grève pour reverser les salaires des normaliens aux grévistes.
Le 1er mai, on s’est tous retrouvé place de la Bastille. Arrivés vers 18 h 30 à Nation, on s’est posé avec un sandwich pour attendre la fin du cortège. Vers 19 heures, ça a commencé à gazer sévère. Je me souviendrai toute ma vie d’un couple de vieux, dont la femme vomissait pendant que son mari faisait une crise d’asthme. On a essayé de les aider comme on pouvait. Mais les lacrymos tombaient en permanence, donc on s’est cassé. Les flics nous ont dirigés vers une bouche de métro fermée.
« Tu fais moins le fier maintenant ! »

Quand le métro s’est ouvert, il y a eu un mouvement de foule et je me suis retrouvé seul, à cinq mètres de mes potes. Quand la BAC (brigade anti-criminalité –NDLR) charge, faut pas s’isoler. Je me suis pris trois coups de matraque, ça m’a coupé la respiration. Ensuite, on m’a fait une balayette et je me suis retrouvé sur le dos. Encore un ou deux coups de matraque sur les cuisses. Là, ça devient un peu flou. Je me revois leur dire : “Ça va, ça va, tranquille.” Ils m’ont traîné sur le sol sur quatre, cinq mètres, l’un des flics me tirait par les cheveux. Ils m’ont laissé tomber et là, je me suis pris le coup de genou. Ma tête a heurté violemment le sol, j’ai fait un petit black-out de cinq secondes et j’ai vu des étoiles jusqu’à deux heures du matin. J’avais la moitié de la face en sang, un coquard, je saignais du nez, des lèvres et des gencives (j’avais perdu un bout de dent). L’arrière de mon crâne, sanguinolent, me faisait atrocement mal. Mon dos était massacré, tout rouge des coups de matraque et plein d’égratignures. Dans le camion, pour me mettre les Serflex, le flic m’a tiré par les cheveux. J’ai hurlé de douleur comme un porc. Celui qui portait un casque pendant mon interpellation m’a lancé : “Tu fais moins le fier maintenant !”
Je me suis retrouvé en garde à vue au commissariat du 15e, accusé de violences par arme (« jet de projectiles ») sur personne dépositaire de l’autorité publique. C’est un truc grave – que je nie complètement – je risque cinq ans ferme et 75 000 euros d’amende. La garde à vue, mentalement, c’est très dur, c’est une série de petites brimades permanentes. Ma cellule faisait 2,5 mètres sur 1,5, on n’avait pas accès à l’eau et aux chiottes, c’est à leur bon vouloir. Parfois on attend trois, quatre heures. T’es un chien. Les flics te mettent la pression pour que t’ailles pas voir le médecin. J’ai insisté, j’ai été emmené à l’Hôtel-Dieu à deux heures du matin, c’était horrible. Au début, tu vois un peu dehors alors t’es content, mais ensuite on nous met à quarante dans une cage. Ça dure trois plombes, t’as pas de matelas, t’as froid, tu dors par terre. Il y a des remarques sexistes en permanence, tout le monde se gueule dessus. Le médecin était sympa, il m’a filé un doliprane contre les courbatures. Mon schéma corporel était gribouillé de partout, j’ai eu deux jours d’incapacité totale de travail (ITT).
Je suis retourné au commissariat pour une confrontation avec les agents interpellateurs. Il y avait des contradictions énormes dans leurs témoignages. Par exemple, ils me décrivent en pull marron, alors que j’étais en tee-shirt gris. C’était un sketch, on aurait dit les Monty Python. J’étais dans un état pas possible, je ne savais même pas qu’on pouvait rester plus de 24 heures en garde à vue. La pression judiciaire et policière s’exerce aussi comme ça. Heureusement, mon avocate était là, elle m’a filé un Pitch (brioche au chocolat – NDLR) et du jus d’orange. Après la garde à vue, j’ai passé 24 heures au dépôt pour attendre mon procès, donc au total, j’ai fait 72 heures de détention. J’ai demandé le report de la comparution immédiate pour être jugé dans de bonnes conditions. Ceux qui étaient avec moi – j’étais le seul Blanc – ont tous pris du ferme. C’est l’abattoir. Tu sens que si t’es du bon côté de la société, dans une école d’élite, avec un logement, ça se passe mieux pour toi. Je suis ressorti libre sans contrôle judiciaire, dans l’attente de mon procès. Le même jour, je me suis vu à la une de l’Huma, j’ai réalisé la violence du coup.
Le 19 mai, à 3 heures du matin, des Robocop ont fait irruption dans ma coloc. Ils venaient me délivrer une interdiction de séjour pour la manif qui se déroulait le même jour. J’étais interdit de cinq arrondissements parisiens, dont le 5e, où se trouve mon labo… Depuis le 1er mai, j’ai beaucoup moins manifesté, tu fais très attention.
Ensuite, il a fallu porter plainte à l’IGPN (la police des polices – NDLR). J’y ai passé une journée, en vain : on m’a dit que ce n’était pas la procédure, que l’ordinateur ne fonctionnait pas, qu’il suffisait d’en parler au procès… Un policier qui a vu mes vidéos m’a dit : “Il a glissé, vous n’avez rien.” Finalement, ils m’ont rappelé fin juin pour me dire que je devais porter plainte pour ouvrir l’enquête… Mais, visiblement, la plainte n’est toujours pas enregistrée, donc on va demander ce mardi le renvoi du procès. Ça fait longtemps que je travaille pour être chercheur, j’ai peur de ce qui peut se passer si je prends un casier… »