Par Bruno Drewski
Bruno Drweski est maître de conférences HDR à l’INALCO (Langues’O) dans le domaine polonais. Outre ses travaux sur la Pologne, dont son dernier livre « Solidarnosc : une solidarité qui a coûté cher » (Delga, 2019), on lui doit un « Que sais-je ? » sur la Biélorussie ainsi que la préface au livre de Stephen Parker sur la Biélorussie de Loukachenko, « La Dernière République soviétique. La Biélorussie : une oasis sociale, économie et politique? » (édition Delga, 2019). La commission internationale du PRCF a donc décidé de lui poser quelques questions essentielles sur les événements actuels en Biélorussie.
La CGT semble ignorer dans son communiqué la position de la Fédération des syndicats de Biélorussie, de loin le plus grand syndicat du pays, dont les activités se sont étendues depuis 1991 au secteur privé et dont 75 % des membres appartiennent à ce secteur, ce qui devrait soulever l’admiration de la CGT. La direction confédérale de la CGT devrait faire l’effort de savoir que les forces d’opposition en présence en Biélorussie n’ont présenté aucun programme économique et social au moment où la pression des oligarques, tant russes qu’occidentaux, pour casser le modèle social biélorusse, la société de quasi-plein emploi, de prestations sociales généralisées et de secteur public dominant se heurte à des pressions montantes en vue de soumettre leur pays aux politiques de privatisation et de bradages des entreprises nationales. La CGT, qui est censée défendre l’existence du secteur public en France, devrait être sensible à cet aspect de la réalité biélorusse.
Aujourd’hui 17 août, le président Loukachenko en personne s’est rendu au devant des ouvriers en principe en grève de la grande usine de tracteurs de Minsk pour répondre à leurs questions et expliquer que dans une société de quasi-plein emploi comme en Biélorussie, ceux qui ne veulent pas travailler peuvent le faire mais alors ils deviennent des chômeurs volontaires. Et que s’ils préfèrent le système capitaliste, alors le chômage deviendra massif et ils n’auront plus l’occasion de pouvoir faire grève. On aurait aimé que la CGT exige en France de la part du président Macron qu’il ait manifesté le même courage de venir s’expliquer directement devant les multiples manifestants français lors des manifestations violentes des deux dernières années, comme l’a fait aujourd’hui le président de la Biélorussie.
Il n’a jamais été question de criminaliser les activités syndicales en Biélorussie où la majorité des entreprises sont publiques et où les syndicats participent aux consultations et aux décisions en jouant un rôle actif dans la mise en place de la politique du quasi-plein emploi et de maintien des garanties sociales et sanitaires de base en vigueur.
Contrairement à ce que le communiqué de la CGT déclare, les élections en Biélorussie n’ont pas été organisées à la va vite, elles étaient prévues depuis fort longtemps et, si elles peuvent être contestées comme beaucoup d’autres élections dans le monde y compris dans les pays occidentaux, rien ne permet d’affirmer que la campagne électorale a été plus injuste ici qu’ailleurs car, si tel était le cas, pourquoi alors les candidats d’opposition se sont-ils présentés à de telles élections ? Parler de régime autoritaire depuis 26 ans, c’est en plus contester toutes les élections précédentes, pourtant en général globalement validées par différents organismes parmi lesquels l’OSCE. C’est donc aussi contester l’honnêteté de ces organismes et des observateurs internationaux qui y ont assisté.
Les choix stratégiques d’un État sont faits par le pays concerné en toute souveraineté et qualifier l’indépendance et le non alignement choisis par la Biélorussie de « double jeu » parce que Minsk refuse de s’aligner sur Bruxelles, Washington ou Moscou, témoigne de l’alignement de la direction de la CGT sur une logique supranationale et de bloc telle qu’elle est mise en place par l’UE et l’OTAN et qui a comme objectif de limiter l’indépendance des peuples et le droit au contrôle public de son développement économique et social. Les choix faits à Minsk de ne pas calquer le système social du pays sur celui de ses voisins de l’Est ou de l’Ouest témoignent du refus d’accepter une politique de privatisations des fleurons de l’économie biélorusse au profit des capitalistes russes ou occidentaux, ce que la CGT devrait en principe applaudir. Le président Loukachenko vient de rappeler aujourd’hui devant les ouvriers de l’usine de tracteurs que s’il appliquait les choix faits dans les pays voisins, une partie des grévistes qui cessent le travail aujourd’hui deviendraient chômeurs conformément aux lois de ladite « économie de marché libre et non faussée » et qu’ils devraient définitivement cesser de travailler. La CGT souhaite-t-elle l’extension du régime économique et social injuste en vigueur dans notre pays ?
Contrairement au strabisme manifesté par le communiqué de la CGT, ce week-end, il y a eu deux manifestations « gigantesques » à Minsk, une pro-gouvernementale et une anti-gouvernementale, toutes deux d’ampleur comparable, et rien ne permet donc d’accorder à une seule option politique le monopole de la représentativité « du » peuple de Biélorussie, contrairement à ce qu’affirme la déclaration confédérale de la CGT. Les grèves dans le pays semblent par ailleurs partielles et localisées surtout dans la capitale, et la CGT n’a pas à prendre pour argent comptant sans les vérifier les exagérations des groupes d’opposition ou des petits syndicats minoritaires du pays. Rien ne permet pour le moment d’affirmer que la grève s’étend, on peut même avoir l’impression que le rappel par Loukachenko aux ouvriers de l’usine de tracteurs des conditions de travail dans les pays du capitalisme sans contrôle a contribué à calmer les ardeurs de certains mécontents.
La Fédération des syndicats de Biélorussie appelle au calme et à la paix !
Communiqué de l’agence Belta résumant le point de vue du syndicat de loin le plus puissant de Biélorussie, la Fédération des syndicats de Biélorussie, émis le 14 août 2020 :
MINSK, 14 août (BelTA) – La Fédération des syndicats du Biélarus (FSB) appelle toute la population du pays à cesser toute violence et à entamer un dialogue pacifique pour l’avenir de la Biélorussie.
« Les gens qui sortent et se rassemblent dans les usines et les entreprises sont préoccupés par la montée des tensions et la situation d’insécurité dans les rues de nos villes. La Fédération des syndicats reçoit de nombreux appels de la part des collectifs de travailleurs pour demander à tous de mettre fin à la violence, de ne pas provoquer de conflits, de préserver la paix dans notre pays. Aujourd’hui, les gens veulent que leurs enfants, leurs parents et leurs collègues qui ont été détenus soient libérés le plus rapidement possible. Nous parlons de ceux qui se sont retrouvés dans des lieux où des rassemblements de rue ont eu lieu et qui n’ont pas violé l’ordre public. Nous partageons ces appels et insistons pour que les forces de l’ordre libèrent ces personnes le plus rapidement possible et mènent une enquête ouverte et objective dans chaque cas« , a déclaré le syndicat.
La Fédération des syndicats du Bélarus fournira toute l’aide nécessaire, que ce soit sur le plan juridique, psychologique et financier à ceux qui se trouvent dans une situation difficile. « Nous demandons à tous de cesser la violence et d’entamer un dialogue pacifique pour le bien de l’avenir de chacun d’entre nous et de notre Biélorussie« , peut-on lire dans la déclaration.
Depuis, et en partie suite à cette intervention constructive de cette centrale syndicale, les personnes arrêtées lors des manifestations et qui ont subi des brutalités illégales ont été libérées et une enquête a été ouverte.
Quelques contrevérités démenties avec les réseaux sociaux
rassemblement des opposants à #Lukashenko devant l’usine Atlant ( fabriquant d’électroménager en #Bielorussie nombre d’employés 6935 en 2019) c’est pas la razzia de récolte de grévistes !! https://t.co/qmpT8DcKKv
— DP (@Damien_Pa) August 18, 2020
Détail de la situation en #Bielorussie qui semble correspondre aux vidéos publiés (pour Atlant par exemple). A l’usine BMZ les fourneaux refonctionnent normalement. Production normal à l’usine de tracteur.#Bielorussie https://t.co/chBdsOppK1
— DP (@Damien_Pa) August 18, 2020
rassemblement des opposants à #Lukashenko devant l’usine Atlant ( fabriquant d’électroménager en #Bielorussie nombre d’employés 6935 en 2019) c’est pas la razzia de récolte de grévistes !! https://t.co/qmpT8DcKKv
— DP (@Damien_Pa) August 18, 2020
#Loukachenko . «L’appel… pour renvoyer à la constitution de 1994 est un cadeau aux criminels, c’est un cadeau aux affaires criminelles. Par conséquent, il ne peut y avoir de retour aux années 90.. »
— DP (@Damien_Pa) August 18, 2020
#Loukachenko hier avec ouvriers « Nous avons déjà discuté avec les Russes de la question de la privatisation de MZKT, j’ai refusé. De 4 500 employés il en resterait 2 500. Je demande: « Que faire de deux mille d’entre eux? » réponse des russes « Nous avons un business plan de 2 500 »
— DP (@Damien_Pa) August 18, 2020
#Loukachenko ne voit pas la nécessité de privatiser les terres agricoles. «Pourquoi devons-nous répéter les erreurs des autres, créer un marché foncier illégal et augmenter la criminalité?»
— DP (@Damien_Pa) August 18, 2020
Je ne soutiens pas Loukachenko mais ceux qui parle des manifestants comme s’ils représentaient le bien me font rire. Surtout que ces manifestations sont organisés par des groupuscules nazis proches des nazi ukrainiens. Dirigeants occidentaux et nazisme une belle histoire d’amour pic.twitter.com/wp7bqxdDyC
— Czes Nijy (@CNijy) August 17, 2020
cette vue permet de mesurer la taille de la manifestation de l’opposition à #minsk. des dizaines de milliers de personnes mais loin du raz de marée populaire parfois décrit https://t.co/BKvU0Bqk5i
— PRCF (@PRCF_) August 16, 2020
#Bielorussia #Minsk ces images aériennes confirment la mobilisation relativement modeste dans la manifestation de l’opposition
— PRCF (@PRCF_) August 16, 2020
Entre 15 et 40 000 manifestants, soit moins que le rassemblement pro #Lukashenko https://t.co/23wxKCFur6 pic.twitter.com/iq8zHk3TtQ
A #Minsk le peuple manifeste dans la rue pour refuser le coup d’état et la déstabilisation de la #Bielorussie
— PRCF (@PRCF_) August 16, 2020
plusieurs dizaines de milliers de manifestants sont réunis place de l’indépendance#Bielorussia pic.twitter.com/tZqquh3Vhb
rassemblement de soutien à #Loukachenko à Gomel https://t.co/1lKheSw655
— DP (@Damien_Pa) August 18, 2020
Le communiqué du département international de la CGT
Arrêt des violences et libération immédiate de tous les syndicalistes au Bélarus
La CGT exige, à l’instar des organisations syndicales de Biélorussie, l’arrêt des violences et la libération immédiate de tous les syndicalistes encore détenus, notamment de nos camarades affiliés au BKDP.
Que ce soit au Bélarus, en France ou dans tout autre pays, la CGT s’oppose à la répression des manifestations, aux violences policières, aux arrestations arbitraires et à la criminalisation des activités syndicales.
Depuis une semaine, le Bélarus connaît des mobilisations de masses au sein desquelles les syndicats du pays prennent une part très active.
Le mouvement prend son origine dans le refus par la population des résultats des élections présidentielles du 9 août.
Organisée à la va-vite en plein cœur de l’été, dans des conditions privant l’opposition d’un accès à une campagne juste et démocratique (plusieurs candidats ayant été empêchés de se présenter), cette mascarade électorale a révolté un peuple bélarusse épuisé par les 26 années de pouvoir autoritaire d’Alexandre Loukachenko.
En réaction à la colère qui se levait, cet autocrate, usé par le pouvoir et par son double jeu entre Union européenne et fédération de Russie, n’a rien trouvé de mieux que de faire usage de la violence contre son peuple.
Ce week-end, un nouveau cap dans la mobilisation a été franchi avec des manifestations gigantesques faisant suite aux débrayages de la semaine dernière, dans de très nombreux secteurs économiques ainsi que sur l’ensemble du territoire.
La grève s’étend désormais et la répression dont plusieurs dirigeants syndicaux sont victimes ne fait que renforcer la détermination des Biélorusses.
Ces jours-ci, j’ai lu beaucoup d’articles à partir de différentes sources et j’ai eu aussi des échanges téléphoniques… les pro et anti pouvoir (je suis russophone, ai vécu longtemps en ex-URSS / Russie / Biélorussie, marié à une Soviétique biélorusse).
Comment la seule république issue de l’ex-URSS qui avait su éviter le naufrage économique et politique après l’implosion des pays des Soviets, en était-il arrivé là ?
Plus les jours passent et plus il devient évident que tout a été préparé et organisé de longue date … Pour mettre en œuvre ce plan, il fallait la participation de nombreux jeunes dans la rue (et c’est ce qui a réellement eu lieu) mais surtout pour ce que ce plan réussisse, il fallait la participation décisive des forces productives adultes et responsables, bref de la classe ouvrière ! Selon les dernières informations, cela n’a pas fonctionné malgré les tentatives de rassemblements organisés par des éléments extérieurs aux portes des usines, à l’exception de quelques travailleurs minoritaires.
Alors d’où tout cela vient-il ? Il est intéressant de noter qu’un flot continu de fausses informations circulaient sur les réseaux sociaux locaux, en même temps et avec les mêmes mots dans différentes villes de Biélorussie … J’avoue qu’après les avoir lus, j’ai succombé moi-même et je n’en croyais pas mes yeux, les cheveux se sont dressés sur la tête ! Comment expliquer une dérive aussi incroyable dans un pays jusqu’ici pacifique, en développement continu et avec un chômage quasi-inexistant ? Quelle autorité se réclamant d’un pouvoir populaire pouvait-elle se maintenir en pratiquant une violence aussi évidente (répression sanglante, victimes grièvement blessées et tuées) … les jours passent et il s’avère que rien n’est confirmé, les mensonges commencent à se révéler au grand jour ! … c’est bien la preuve que tout cela était organisé à l’avance! Tous les médias occidentaux ont publié les mêmes ‘informations’ mot pour mot et en même temps. Madame Tikhanovskaya s’est courageusement enfuie à l’étranger, laissant ses partisans à la pointe du combat … que voilà un leader résolu !
Alors, une jeunesse convaincue mais naïve ?
De mon point de vue, le problème de Loukachenko et de son équipe (qui ont beaucoup fait pour une Biélorussie indépendante, pacifique et en développement constant) est qu’un seul et même pouvoir pendant 26 ans ne peut répondre aux souhaits d’une nouvelle génération! Pourquoi ce pouvoir a-t-il été incapable (ou simplement ne le désirait-il pas) de former de nouveaux dirigeants jeunes à même de comprendre la jeunesse rompue aux nouvelles technologies et à ses codes, et enfin leur passer le relais sur une même base politique au service de la population ?
J’ajouterai que le communiqué officiel de la CGT est déroutant, affligeant, démobilisateur et somme toute irresponsable …
On croirait lire un communiqué du jaune Berger !
De communiqué en communiqué, la Confédération Syndicale CGT a perdu tout sens de la raison … sociale et de vision politique !
Oui affligeant, mais surtout préoccupant pour une Confédération sensée représenter le contre-poids à l’ultralibéralisme ambiant. Sa pente réformiste est inquiétante, et va démobiliser plus d’un adhérent.
Le prochain congrès promet d’être chaud, et si statu quo il devait y avoir, j’en tirerais toute conclusion et décision.
« Le même pouvoir pendant 26 ans ne peut répondre aux souhaits d’une nouvelle génération! »
Ce poncif a été utilisé à plusieurs reprises en effet, exploitant à la fois le conflit des générations et les réseaux sociaux (voir TikTok phagocyté par Gafam). Sauf que des régimes suffisamment conciliants avec l’empire perdurent, et qu’ici on fait dans le deGaulle revival !
L’appareil de la CGT s’est « fourvoyé » plusieurs fois de la même manière en matière d’international, là aussi on pourrait dénoncer le décalage du pouvoir avec les réalités modernes…
Je crois qu’il serait temps pour Loukachenko de remettre au centre politique de son pays ,la classe ouvrière et surtout la jeunesse! et abandonner l’idée d’une constitution calquée sur notre 5ème Rèpublique avec tout ses travers et la personnalisation du pouvoir central ! il faut démocratiser ,rendre les décisions politiques et économiques en débat et que la grande majorité du peuple soit associée et responsable des décisions à prendre et leur éxécution lorsqu’elles sont adoptées!