
Dans une analyse récemment publiée par Red Roja, les communistes espagnols qui font vire la revue Dualéctica réfléchissent à ce que révèle le ballet des USA et de l’Union européenne dans leur duo sur la guerre en Ukraine menée contre la Russie par l’OTAN. Le texte démontre comment les États-Unis continuent de subordonner délibérément une Union européenne qui leur est totalement soumise pour étouffer sa potentielle rivalité. Profitant de la crise énergétique résultant des sanctions ordonnées contre la Russie, l’un des buts de guerre US, les USA vendent du GNL à prix d’or à l’Europe, affaiblissant son industrie. Leur plan de subventions vertes (IRA) vampirise les investissements européens. Militairement et financièrement, l’UE reste totalement dépendante du parapluie américain et du dollar, c’est à dire du capital impérialiste américain. Washington exploite la guerre en Ukraine, un conflit que l’Europe ne souhaitait initialement pas encore et qui lui a été imposé en 2022 par Biden, afin de briser son autonomie stratégique et ses liens commerciaux avec la Russie. La stratégie américaine est de jouer les pyromanes-pompiers : créer des crises pour que l’Occident ait besoin de sa protection. Pris au piège par la peur commune de la Russie et de la Chine, l’UE suit. Ainsi, loin d’être suicidaire, sa soumission est un calcul forcé : éviter à tout prix la victoire de ses ennemis géopolitiques, même au prix de son propre affaiblissement au profit des États-Unis. Cela démontre le piège de l’impérialisme au stade hégémonique, duquel les peuples européens, à commencer par les Français, le maillon faible du bloc impérialiste, doivent se sortir de toute urgence s’ils veulent échapper à la guerre mondiale.
Article inclus dans le numéro 3 de la revue Dualéctica impulsée par les militants espagnols de Red Roja
États-Unis : l’art pervers de savoir comment subordonner l’Union européenne
On entend souvent dire que l’Allemagne et l’UE se tirent « une balle dans le pied » de manière suicidaire par leur attitude en Ukraine. Derrière cette affirmation se cache une grande méconnaissance de ce qui se passe réellement. Tout d’abord, il faut expliquer ce que Brecht appellerait l' »ascension résistible » de Trump. Et effectivement, seul un clown, seule une caricature pouvait s’élever et accumuler un tel pouvoir dans le contexte actuel, car la puissance des États-Unis est déjà en grande partie caricaturale pour l’Histoire et ne correspond pas à une réalité matérielle. Trump est un homme faux, il correspond à une puissance hégémonique qui l’est tout autant.
Les États-Unis ne tiennent plus debout, car l’endettement et la perte de base matérielle de leurs « fondements » (comme aiment à dire les économistes) sont tels que l’ancienne puissance perd de sa prépondérance en Afrique, en Amérique latine, en Iran… et se voit dépassée par la Chine. Dans ce contexte, pour séduire une classe ouvrière, en grande partie blanche et « aristocratique », qui voit ses conditions se dégrader, il a fallu diffuser la fausse rumeur qu’il allait expulser les immigrés. Qui peut croire cela, alors que le système n’a pas besoin de les expulser, mais de les maintenir dans la marginalité et sans droits ? Quoi qu’il en soit, pour honorer ses promesses électorales, Trump n’a mis en œuvre qu’une infime partie de son programme (il n’expulse d’ailleurs pas beaucoup plus d’immigrés que Biden ou Obama). Bien entendu, si cette politique était appliquée, ses résultats seraient contre-productifs : les champs resteraient en friche. Combien de temps Trump resterait-il à la présidence s’il expulsait vraiment les immigrés ?
Sa politique de menaces tarifaires sera plus palpable : la dernière sortie d’un pays qui ne se maintient plus par sa dette et qui, paradoxalement, doit attaquer sa propre population en attaquant, en apparence, l’étranger. Et comment ? En rendant les produits importés chers, de sorte que le peuple ne puisse pas les acheter et, s’il les achète, qu’il finance une administration publique qui prend l’eau. Effectivement, et si via les tarifs douaniers, on cherchait aussi en réalité à imposer une énorme fiscalité ? Et si les États-Unis étaient tellement affectés par la perte de prépondérance de leur parasitisme néocolonial qu’ils auraient désormais besoin d’un parasitisme par voie tarifaire ? Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un plan fort loin de réussir.
D’un autre côté, il y a l’UE, qui proteste parce que les États-Unis imposent des tarifs douaniers même à leurs théoriques « alliés », une situation que Bruxelles n’accepte pas, maquillant sa rivalité commerciale même sous le prétexte de « combattre l’extrême droite » de Trump. Une partie du mouvement communiste n’a jamais su voir les contradictions entre l’UE et les États-Unis. C’est pourquoi ils ne comprennent pas maintenant ce qui se passe en Ukraine et en restent à dire que l’Allemagne « se tire une balle dans le pied ». En réalité, l’Allemagne et l’UE arrivent (une fois de plus) en retard. Si les États-Unis sont une puissance en déclin, l’impérialisme de l’UE est entré en déclin avant même de naître, car il a rencontré la Chine et la Russie (ses véritables ennemis) déjà trop fortes. Comme nous le signalons depuis près de deux décennies, les États-Unis sont une puissance qui ne tient plus debout, faute de base matérielle ; un vieillard qui n’arrive pas à mourir. Mais l’UE n’a jamais cessé d’être un fœtus qui pouvait être avorté. Et c’est précisément ce que cherchent les États-Unis, de manière perverse : empêcher que l’enfant impérialiste de l’UE (son possible rival au sein même du « collectif occidental ») ne vienne même au monde et puisse marcher sans son vieux protecteur de la Guerre froide.
Quoi qu’en disent ceux qui se prétendent social-démocrates, les tendances impérialistes européennes ne sont en aucun cas moindres que celles des Yankees. Tous sont des exploiteurs des peuples, des parasites et des ennemis du socialisme. Mais (et c’est là que réside la clé de la perversité américaine) la stratégie pour détruire la Chine n’est pas la même pour les deux pôles impérialistes. Si, comme nous l’avons dit, l’un est une puissance hégémonique essayant de ne pas être un cadavre, et l’autre, un enfant qui n’est pas encore né, la ligne de l’UE était de saper la Chine et la Russie en imposant sa technologie, en promouvant des « révolutions de couleur » comme le Maïdan ou des crises comme celle de la Yougoslavie… mais pas initialement par la voie militaire, pour laquelle les Européens ne sont pas encore prêts.
Dès 2006, un article en donnait la clé : si les États-Unis « n’ont pas de base économique (ni même suffisamment de leadership politique et diplomatique) pour prolonger encore leur hégémonie, ils conservent encore une avance suffisante dans le domaine militaire ». Cet article précisait aussi que le plus pervers dans cette situation historique est qu’ainsi, ils peuvent amener « le camp occidental à continuer à avoir besoin d’eux pour éteindre les incendies qu’eux-mêmes, les États-Unis, n’hésitent pas à attiser »[1]. Dans un autre article, également de 2006, il était affirmé textuellement que les États-Unis cherchaient désormais à provoquer une « instabilité globale du monde, en créant des incendies dont les braises atteignent, au minimum, tout l’Occident, de sorte que ce dernier ait urgemment besoin d’une équipe de pompiers bien équipés – c’est-à-dire les mêmes pyromanes américains – pour éteindre ces incendies »[2].
Les Européens ne voulaient pas d’amitié avec la Russie, ils voulaient des relations commerciales et du gaz pour développer leur propre économie indépendamment de l’Amérique du Nord, en créant leur propre arrière-cour dans les ex-républiques soviétiques. Mais leur plan a échoué. La subordination de l’UE aux États-Unis répond au piège de Biden : mettre l’Europe de force contre la Russie, non pas à la manière européenne (commerciale), mais en précipitant un affrontement militaire que l’Europe ne voulait pas encore. Seulement, l’Europe veut encore moins une victoire de la Russie (ou une victoire commerciale de la Chine), qui serait l’antichambre de la défaite du capitalisme occidental dans le monde.
Si l’UE s’est subordonnée aux Américains dans la guerre en Ukraine et, de plus, a supporté que les États-Unis boycottent ses relations avec la Russie et même les échanges commerciaux eux-mêmes (voir le sabotage du Nord Stream 2), c’est tout simplement parce que les États-Unis ont profité d’un point qu’ils partagent avec l’UE : les ennemis principaux sont la Russie et la Chine. C’est ce qui explique la chute de l’Allemagne : le piège nord-américain ne lui a laissé d’autre choix que d’affronter Poutine, malgré le besoin objectif de relations commerciales immédiates avec la Russie.
Les États-Unis ont donc réussi à briser le calendrier et l’agenda de l’UE ; comme nous l’avons vu, l’UE et l’Allemagne ne souhaitaient pas un conflit militaire avec la Russie. Mais il y a une chose qu’elles souhaitaient encore moins : que le conflit militaire, une fois engagé, soit remporté par la Russie et la Chine. Cela explique que l’Allemagne ne se « suicide » pas généreusement en faveur des États-Unis ni ne se « tire une balle dans le pied ». Simplement, les États-Unis ont forcé la guerre et n’ont laissé à l’UE d’autre choix que de suivre le jeu. Un jeu auquel l’Europe est arrivée en retard et dans lequel, pour couronner le tout, elle est en train de perdre à nouveau.
[1] El día D y su gerundio, p. 25. Disponible ICI
[2] Ibid, p. 136




