
Malgré ses imperfections, j’avais beaucoup apprécié Vaurien, le premier long-métrage du jeune réalisateur Peter Dourountzis, qui traitait sous le prisme du féminisme l’histoire d’un SDF tueur en série. J’attendais donc avec impatience son nouveau long-métrage, Rapaces, librement inspiré de l’affaire Elodie Kulik, jeune femme violée et assassinée en 2002, affaire qui s’est terminée par la condamnation de Willy Bardon en 2019. Nous y suivons Samuel, un journaliste d’investigation pour le magazine Détective. Avec sa fille Ava, il couvre l’affaire du meurtre d’une jeune fille, tuée et brûlée à l’acide. Samuel est choqué par une telle brutalité et surprit par l’intérêt de sa fille pour cette affaire. Il va décider de mener son enquête, indépendamment de son magazine. Il va trouver dans son investigation des liens avec un autre meurtre.
Les rapaces du film désignent ici les hommes en posture de prédateur face aux femmes, message qui se trouve en continuité avec le discours ultra-féministe de Vaurien. Fort logiquement, il interroge la place de la femme et les diverses menaces qui pèsent sur elles, notamment de la part des groupes masculinistes. Comme tout bon film policier, le long-métrage sait instaurer de la tension, en particulier dans la scène du restaurant où nous pouvons vraiment craindre pour la vie de nos héros.
Cependant, au vu de son sujet, on peut être étonné du manque d’insistance sur un autre type de rapace : le reporter de faits divers, qui recherche à tout prix une histoire, un cadavre, afin de faire les gros titres. Si au début on montre le côté foncièrement arriviste de Samuel, Rapaces laisse vite tomber cette posture pour se concentrer sur son rôle d’enquêteur, le rendant sympathique au passage, au lieu d’en faire une critique. J’ai pensé au film Viol en première page de Marco Bellochio à titre de comparaison. Dans celui-ci, un journal réactionnaire et propatronal utilisait une sombre affaire de viol et de meurtre pour tenter de faire accuser un jeune militant d’extrême gauche, tout en laissant le véritable assassin courir en liberté. Le patron du journal y était plus horrible que l’assassin, la dénonciation des médias poubelles bien virulente. Cela prendra encore plus de sens dans le point qui va suivre, mais n’y avait-il pas moyen de montrer en quoi ce type de journal sensationnel augmente le climat d’insécurité et vit fondamentalement de la douleur des gens ?
L’aspect politique de l’œuvre vient de la nature de la menace du film. Et nous prévenons le lecteur qui ne veut pas se faire dévoiler la fin de ne pas en lire plus.
On apprend dans le film que les assassins sont un groupe de jeunes blancs d’extrême-droite, partisan d’un mouvement nommé Red pill, misogyne au possible et qui fait de l’antiféminisme un credo. On appréciera l’utilisation d’un thème de société réellement existant et problématique, c’est-à-dire cette vague masculiniste totalement réactionnaire. Pourtant, je ressens comme une gêne. Tout comme dans son précédent film, Vaurien, le discours féministe et antifasciste est asséné sans que celui-ci ne semble totalement coller à l’histoire. Où plutôt les thèmes semblent greffés plutôt que portés par elle. Typiquement, sans remettre en cause le lien entre extrême droite raciste et misogynie, on voit mal le lien qui est fait d’emblée entre suprémaciste blanc et l’antiféminisme. En fait, on dirait que ce groupe est d’abord antifemme et accessoirement, histoire d’en rajouter dans le mal, il est aussi suprémaciste (alors que nous devons constater que si une bonne part de l’extrême-droite est misogyne, la misogynie n’est pas seulement chez les individus ouvertement fascistes). Le but du film aurait dû être, avec de l’intelligence, de nous montrer le lien réel entre les deux. A contrario, nos criminels restent des individus isolés, mais pas forcément le symbole d’un problème plus large.
De plus, à la différence de Vaurien, la mise en scène sert mal le propos féministe de l’auteur. Rapaces reste seulement un bon film policier à voir pour se détendre.
Ambroise