« Dispensationnisme », « sionisme chrétien », « évangélisme », ou la « destruction de la raison » au service de l’exterminisme capitaliste…
Par Georges Gastaud

Dans son ouvrage classique de 1916, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine expliquait déjà que l’impérialisme, c’est « le capitalisme monopoliste, le capitalisme pourrissant et capitalisme agonisant… la réaction sur toute la ligne ». Devenu depuis lors hégémonisme (1) sous la férule planétaire du super-prédateur étatsunien, cette « réaction sur toute la ligne » s’est en quelque sorte exacerbée: sans changer pour autant de nature, elle a logiquement secrété ce que nous avons nommé l’exterminisme capitaliste (2) en ancrant ce concept dans une analyse géopolitique de classe (3). Pour faire court, le capitalisme contemporain est devenu
objectivement incapable d’offrir quelque avenir désirable que ce soit à l’humanité et à chacune des nations qui la composent, sans parler des classes populaires et de peuples entiers qui, principalement au Sud géopolitique de la planète, vivent chaque jour un purgatoire, si ce n’est un enfer quotidien. Si bien que, pour tenter de se survivre en préservant à tout prix des taux de profit systémiquement indispensables à sa maintenance, ce mode de production et de consommation historiquement moribond (4) entraîne l’humanité vers le gouffre: c’est vrai
* sur le plan environnemental (Trump est ouvertement climato-négationniste et l’UE a, par ex., accrû de 4% ses émissions de gaz à effet de serre en 2024!),
* sur le plan technologique (que deviendra l’humanité même de l’homme dans une société hyper-mercantile s’emparant à fond, et pour ses seules fins grossières, de l’IA, de la robotique, etc.?),
* sur le plan politique (qui court le plus vite à la fascisation, des USA néo-maccarthystes de Trump ou de l’UE de Merz et von der Leyen s’alliant aux nazis ukrainiens du régiment Azov ?);
* sans parler du plan politico-militaire où des pantins illuminés à la Liz Truss, à la Boris Johnson ou… à la Macron se flattent de n’avoir « aucune ligne rouge », aucun « tabou », aucun « frein mental » les forçant à réguler si peu que ce soit la périlleuse confrontation en cours entre l’UE-OTAN d’une part, la Russie… et la Chine populaire d’autre part : en un mot, l’hégémon euro-atlantique actuel du mode de production capitaliste qui domine encore la planète tend suicidairement à organiser une escalade continentale débridée entre l’UE-OTAN et un immense pays, la Russie, qui resserre jour après jour ses liens avec la Chine, le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde (près de la moitié de l’humanité!). Un pays qui, en outre, est doté de l’arme atomique assortie de missiles hypersoniques inarrêtables !
Eh bien, très logiquement, une telle société suant par tous ses pores la course au fric, la corruption d’Etat, la banalisation de la violence et la désespérance sociale, ne peut que nourrir d’hyper-régressives idéologies mortifères à sa mesure. Sans parler des films-catastrophes cultivant la fascination de masse pour la « fin du monde », du soutien occidental apporté à des djihadistes aspirant au martyre (dont certains, comme El Jolami, le nouveau « président » syrien, sont froidement adoubés par Trump et Macron!), d’un Netanyahou qui pousse l’humanité tout entière vers la guerre mondiale pour concrétiser le projet censément biblique du « Grand Israël », on pense à l’actuelle prolifération de mouvements sectaires de masse, regroupant des dizaines de millions d’individus des USA à la Corée du Sud en passant par le Brésil: il s’agit notamment des « sionistes chrétiens » et autres « dispensationnistes évangéliques » dont des représentants haut placés pullulent dans certains cercles néoconservateurs et saturent même l’entourage des présidents nord-américains successifs. Or ces prédicateurs à la triste figure n’en sont-ils pas venus dès longtemps à penser (sit venia verbo) que, pour échapper à l’anéantissement personnel qui nous attend tous, et qu’un sage épicurien s’emploierait plutôt à accepter sereinement, la solution radicale ne saurait être autre que la bataille d’Armageddon? Ce nom glaçant tiré de l’eschatologie biblique désigne l’Acte foudroyant par lequel le Créateur mué en Grand Destructeur mettra fin à l’histoire en séparant les Elus des Réprouvés, en épargnant la mort physique aux premiers et en les téléportant dans le Paradis terrestre, en anéantissant aussi chemin faisant l’Empire du mal (hier, l’URSS vue par Reagan, aujourd’hui le PC chinois, la Russie jamais suffisamment désoviétisée à leurs yeux, Cuba socialiste, les Palestiniens « terroristes » – pardon, les « Philistins » et autres « musulmans terroristes » – etc.). Quitte, dans la foulée, à exterminer l’espèce dans son exhaustivité…
Si bien que, loin de résister aux tendances à la guerre mondiale possiblement nucléaire et exterminatrice que dessine déjà fortement la Grande Faille planétaire qui oppose l’Hégémon euro-atlantique aux pays des BRICS (et cela, du Cercle arctique à la Péninsule coréenne en passant par le Donbass, le Proche-Orient et l’Indopacifique!), des millions d’illuminés – pour certains « born again » comme prétendait l’être G.W. Bush, l’exterminateur de l’Irak – aspirent de toute leur âme à cette immense Purge radicale dont la première étape – il faut se pincer pour y croire ! – serait la victoire définitive d’Israël, le regroupement de tous les juifs sur la Terre promise enfin « purifiée » des Arabes (des « Philistins »), et l’écrasement chemin faisant du bloc russo-chinois. Avec en prime la conversion finale au christianisme des juifs enfin regroupés dans le Grand Israël, le Messie chrétien étant enfin reconnu comme tel par eux… Or, redisons-le, des dizaines de millions de gens ont ces folies exterminatrices en tête aux USA, devenu l’hégémon mondial surarmé (5), et ces sectes millénaro-messianistes d’un autre âge comptent dans parmi leurs adeptes des milliardaires et des politiciens de haut rang; lesquels, sans doute, ne croient pas tous à ces délires pitoyables, mais n’en ont pas moins leur fortune électorale et financière, comme Bolsonaro au Brésil ou Milei en Argentine, en feignant d’y croire (6)… Et pendant ce temps, un néo-millénarisme laïcisé pour super-« geeks » dont Musk est la personnification fasciste rêvent ouvertement de « terraformer » et de coloniser Mars pour échapper à l’autodestruction à laquelle l’actuel mode de destruction capitaliste semble condamner le commun des Terriens…
Deux erreurs alors que des marxistes, et plus globalement, des rationalistes laïques et progressistes, ne doivent pas commettre :
– la première serait de croire de manière naïvement idéaliste que ces visions d’Apocalypse, qui nourrissent aussi le « survivalisme » (cette variante athlético-sportive de l’exterminisme!), seraient le moteur principal de la course à l’abîme où l’impérialisme contemporain tend très matériellement à jeter l’humanité. Ce serait là prendre l’effet pour la cause car, si le capitalisme hégémoniste contemporain n’était pas foncièrement, objectivement et même économiquement exterministe, si son mode de fonctionnement omni-précarisant ne secrétait pas un « fond » d’angoisse permanent que chacun est forcé de gérer comme il peut (surtout en l’absence d’un Mouvement communiste international offensif et d’une lutte pour des Lumières partagées que ne peut plus porter de nos jours que le prolétariat international conscient…), il est clair que les sornettes siono-évangéliques et autres sottises « dispensationnistes » ne pourraient guère faire recette à une époque où les sciences font des bonds de géant quotidiens en maths, en physique-chimie, en cosmologie, en biologie-écologie, en neurosciences, etc. Encore faut-il que les marxistes, dont certains passent hélas leur vie à les combattre, refassent effort pour relancer le matérialisme dialectique, le matérialisme historique, le rationalisme critique, les Lumières: en un mot, ce que Lénine appelait le « matérialisme militant », dont la boîte à outils principale se nomme de nos jours « conception scientifique et progressiste du monde »… Et c’est à quoi nous tentons de nous employer modestement sur ce site pour contribuer si peu que ce soit au rétablissement d’une hégémonie culturelle progressiste.
– Aisément déductible de la première, la seconde erreur consisterait à tirer des conclusions exclusivement pessimistes, donc démobilisatrices, du constat que l’exterminisme est devenu l’horizon ultime de l’impérialisme comme on ne voit du reste que trop à Gaza. Car dialectiquement « lu », ce constat signifie symétriquement que jamais la classe travailleuse, jamais ses organisations nationales et internationales, jamais ses avant-postes socialistes subsistant ou émergeant de Cuba à la Chine populaire, n’ont disposé d’autant de moyens de montrer à l’humanité le chemin de la vie: n’est-ce pas du reste ce que Fidel Castro, ce visionnaire RATIONNEL, dessinait déjà en 1992 à Rio quand, à l’occasion du Sommet de la Terre organisé par l’ONU, il déclarait : « Une espèce biologique importante est menacée de disparition en raison de la liquidation rapide et progressive de ses conditions de vie naturelles: c’est l’humanité (…). Si l’on veut sauver l’humanité de cette autodestruction, il faut mieux répartir les richesses et les technologies disponibles (…). Moins de luxe et de gaspillage dans quelques pays; assez de transferts vers le tiers-monde de modes de vie et d’habitudes de consommation qui détruisent l’environnement… Il faut rendre la vie humaine plus rationnelle ».
Et c’est bien ce que signifie au fond la formule de Castro « le socialisme ou la mort, nous vaincrons! » dont le sens n’est pas seulement un généreux appel à l’héroïsme de type guévariste (= il faut savoir sacrifier sa vie si nécessaire, et sans cultiver le goût du « martyre », pour faire la révolution ou pour défendre la voie socialiste partout où elle se construit), mais tout autant un appel fédérateur à construire un socialisme-communisme de nouvelle génération qui fixerait au pouvoir populaire la mission humaniste de préserver la vie sur Terre tout en restaurant ce que Hegel appelait la « Raison dans l’histoire ». Bref, il ne s’agit ici que de comprendre en termes de praxis révolutionnaire ce que Marx notait dans Le Capital quand il entrevoyait déjà que « le capitalisme n’engendre la richesse qu’en épuisant ses deux sources, la Terre et le travailleur »…

En résumé, à l’heure où l’exterminisme impérialiste offre aux obscurantismes de masse des moyens matériels colossaux (dès les années 1930 et la montée du nazisme, Lukàcs appelait cela la Destruction de la raison) pour alimenter idéologiquement le Moloch du profit maximal, le moment est venu depuis longtemps (que nous sommes collectivement en retard!) pour qu’émergent denouvelles Lumières communes principalement portées par le prolétariat, par les nations opprimées en lutte en lien avec l’irrépressible progrès des sciences de la nature, cette source constante pour un rationalisme critique de nouvelle génération. Pour ce faire, ces nouvelles Lumières délestées des étroitesses, voire des perversions inhérentes aux premières lumières bourgeoises, doivent s’armer d’une nouvelle conception du monde dia-rationaliste nourrie en permanence par cette alliance dynamique du réalisme et du rationalisme critiques que marie si justement l’expression « matérialisme-dialectique » que nous a léguée Engels. Leur défense et relance ne sont donc plus seulement de nos jours une grand champ de bataille théorico-scientifique, il s’agit bien de nos jours d’un enjeu, vital à moyen terme, pour la défense de la vie sur Terre, et du processus multimillénaire très gravement menacé de l‘hominisation.
(1) L’historienne Annie Lacroix-Riz a lumineusement montré comment les batailles séculaires des divers impérialismes anglais, français, allemand, japonais, américain, russe, etc. ont menées pour le repartage périodique du monde, ont laissé place pour l’essentiel, surtout depuis 1945, à la domination planétaire sans partage de l’impérialisme nord-américain. Quelque peu contenu pendant 70 années par la présence et l’action internationale de l’URSS et du camp socialiste, cet hégémonisme nommément « unilatéraliste » et « suprémaciste » s’est senti totalement débridé par la destruction contre-révolutionnaire du camp socialiste. En grave déclin, car tout impérialisme archi-dominant tourne au parasitisme, donc au déclin des centres impérialistes eux-mêmes (cf. ce qui est arrivé à l’empire romain lors de son ainsi-dite « décadence »), concurrencé par la montée des BRICS, Chine populaire en tête, cet impérialisme-hégémonisme déclinant n’en est évidemment que plus agressif, d’autant plus que les luttes de classe, grèves de masse à l’appui, remontent dans le monde entier, y compris aux USA. Demain, il serait sans doute trop tard pour endiguer la marée montante des luttes pour l’émancipation nationale et sociale, pour l’égale dignité des deux sexes, pour la sauvegarde de l’environnement saboté par le tout-profit, etc. D’où la furieuse tentation du bloc hégémoniste, par-delà ses divisions non négligeables, de jouer son va-tout ici et maintenant…
(2) Notamment dans une brochure de 1985 qui n’a trouvé aucun éditeur mais qui a par ex. inspiré deux écrits plus récents: 1) les parties III et IV de Mondialisation capitaliste et projet communiste (Delga, 2021), et dans la brochure à paraître « Sombres nuées et rouges lueurs », dont une traduction existe aussi en anglais.
(3) Des idéologues comme Thomson ou Anders ont montré la nature extrêmement mortifère, voire morticole, des sociétés modernes, de même que les tenants actuels de l’ « effondrisme ». Mais évidemment, ils n’en ont nullement saisir la nature de classe capitaliste, impérialiste et foncièrement contre-révolutionnaire.
(4) La société capitaliste est condamnée par le fait même qu’elle socialise toujours davantage la production des richesses mais qu’elle en réserve aussi et de plus en plus l’usufruit à un nombre plus réduit d’oligarques sévissant dans un nombre plus réduit de métropoles impériales. Dès lors, soit la classe laborieuse trouvera en elle la force de reconstituer à temps de puissantes organisations de combat, de lier fortement l’engagement pour l’émancipation sociale à la lutte pour la souveraineté et l’égalité des nations, soit le capitalisme abandonné à ses logiques détruira l’humanité. L’optimisme marxiste est conditionnel: le capitalisme peut accoucher du socialisme si et seulement si, comme le disait le Che, les révolutionnaires n’attendent pas sur le seuil de leur maison de voir passer sur la rivière le cadavre de l’impérialisme…
(5) Et où les tueries de masses entre citoyens dotés d’armes de guerre sont monnaie courante.