Par Georges Gastaud, animateur du Secteur études et prospectives du PRCF, Adrien Crovisier et Martin Bonnefoi, responsables de la commission géopolitique du PRCF – Vu Fadi Kassem, secrétaire national du Pôle de Renaissance communiste en France
Grand « Rift » géopolitique: flottements, frottements et grand re-gel global
Il y a quelques mois encore, on observait de sérieux flottements aux marges du Grand Rift géostratégique mondial qui, du cercle Arctique à la Péninsule coréenne en passant par le Donbass, le Proche-Orient et l’Asie-Pacifique, sépare et oppose de plus en plus, d’une part, l’Axe euro-atlantique, flanqué du Japon, de la Corée du Sud et des vassaux océaniens de l’empire anglo-saxon (« AUKUS »: Australie, Nouvelle-Zélande, Canada), et d’autre part le grand regroupement politiquement très disparate de la « majorité mondiale » en formation. Ce regroupement encore passablement informel tend à rapprocher, au sein des B.R.I.C.S. ou à leurs marges, une large partie de l’Eurasie (Chine, Russie, Inde, Iran, pays de l’Indochine…), les peuples, sinon les gouvernements du monde arabe, solidaires de la Palestine, et le « Sud global », notamment l’Afrique en marche vers l’émancipation (Sahel), l’Asie du Sud-Est et une Amérique latine historiquement cabrée contre l’empire yanqui. On voyait encore récemment l’Inde faire les gros yeux à la Chine populaire, son rival historique, ou affronter militairement le Pakistan, on voyait le Brésil du social-démocrate Lula jouer les francs-tireurs pro-occidentaux au sein de l’alliance des BRICS ; côté occidental, l’irruption du très erratique Trump paraissait fragiliser l’UE-OTAN en apparence abandonnée à elle-même dans sa vacillante ruée à l’Est vers la Baltique, l’Ukraine, la Moldavie et le Caucase (Géorgie, Arménie, etc.).
Réalignement géopolitique et bipolarisation hautement conflictuelle en marche
L’histoire confirmera si ce qui se produit désormais, suite au Sommet de Pékin, où la Chine populaire a reçu le monde entier, et notamment Lula da Silva (Brésil), Narendra Modi (Inde), Vladimir Poutine (Russie), le capitaine Moussa Trahoré (Burkina Faso), Maduro (Venezuela), Kim Jong-Un (RPDC), Diaz-Canel (Cuba), et bien d’autres, et a alors montré calmement sa force militaire, puis le 23 septembre où, symétriquement, Trump est venu à la tribune de l’ONU (23 septembre 2025) pour… menacer froidement d’en licencier des techniciens de l’ONU (!), de dénigrer l’institution qui l’accueillait, jouer grossièrement les grenouilles de la fable (il est « le meilleur président » du « meilleur pays », il règle et règlera tout, y compris par la force et c’est lui qui le dit!), etc. Et surtout, le Superman américain s’est permis d’annoncer dans la foulée que, désormais, « l’Ukraine peut gagner la guerre et reconquérir tous ses territoires« , que la Russie est un « tigre de papier« , que l’OTAN doit abattre tout avion ou drone russe approchant son territoire (pour commencer…) et mille autres forfanteries qui ne demandent qu’à se traduire en menées bellicistes périlleuses si l’humeur de ce tyran capricieux entouré de loups fascisants et d’ores et déjà grand fauteur de guerre civile à domicile, devait évoluer encore
toujours davantage vers la conflagration directe avec le « Grand Sud Est », invasion du Venezuela à la clé. Tant il est vrai que, manifestement, Trump surestime son aura internationale, sa force militaire et son potentiel économique (en déclin structurel malgré la béquille provisoire des droits de douane tous azimuts) et sous-estime grossièrement celle des Russes et des Chinois, voire celle des Iraniens, des Indiens et des Vénézuéliens.
Ajoutons que, par ses vantardises ineptes (il aurait fait la paix à lui seul entre l’Inde et le Pakistan, ce qui indispose Modi!), par ses ingérences claironnantes dans la vie du Brésil (« libérez le putschiste Bolsonaro ou je triple les taxes sur les marchandises brésiliennes »), par son soutien indéfectible à l’État génocidaire dirigé par Netanyahou, par son entêtement à asphyxier Cuba et à envahir le Venezuela, par sa prétention à taxer le pétrole russe importé par l’Inde, Trump contribue (telle est la loi physique d’action/réaction jouant à toute échelle!) à rapprocher les BRICS les uns des autres. Quels que soient leurs régimes respectifs, chacun de ces pays a intérêt à fuir la mortelle « protection » américaine: économiquement, chacun aurait avantage à échapper à l’emprise malsaine du dollar, politiquement, pour résister aux ingérences et aux « sanctions », et militairement pour se protéger des raids israélo-américains allant jusqu’à frapper des diplomates en pleine négociation comme ce fut récemment le cas au Qatar, cet hyper-vassal des États-Unis ! Au contraire, c’est de façon très positive que, par exemple, Cuba vient d’intégrer officiellement les BRICS. C’est ainsi que l’on a vu récemment un rapprochement spectaculaire entre Poutine et Modi, une glaciation politique séparer le Brésil des USA, ainsi qu’on a observé récemment un grand rapprochement entre la Russie et l’Inde, un pays initialement proche de Washington… S’il n’y a pas là l’indice d’une re-bipolarisation galopante du monde, d’une démondialisation antagonistique percutant l’unilatéralisme yankee issu de la défaite contre-révolutionnaire de l’URSS (1988/91), quel autre néologisme faudra-t-il employer pour désigner ces réalités géopolitiques à la fois très prometteuses (la majorité mondiale que l’on prétend partout faire parler, penser et consommer américain, rêve en réalité de s’affranchir du mortifère hégémonisme atlantique) et très inquiétantes (marche à la « guerre de haute intensité » du bloc euro-atlantique éjecté de ses pré-carrés séculaires…)?
Des fronts seconds en voie de réalignement direct ?
Ainsi, même si des tensions subsistent au sein de chaque bloc antagonique (par exemple le Coq Macron et l’Aigle Trump se sont verbalement affrontés à propos de la Palestine…), elles tendent à passer à l’arrière-plan pour faire face à l’ennemi principal constitué par l’Ours russe et par le Dragon chinois timidement ralliés par l’Éléphant indien : par exemple, la reconnaissance par Macron de l’État palestinien reste purement symbolique (pas de risque de « coalition des volontaires » recrutée par Macron pour briser le blocus israélien de Gaza, nourrir les gosses palestiniens… et affronter le « boss » américain!), aucune contestation européenne du veto américain ouvrant sur des sanctions, voire sur une intervention militaire humanitaire à Gaza n’étant à craindre (ou plutôt, à espérer) au Proche-Orient depuis la fin du Pacte de Varsovie. En outre, les tensions entre l’UE et les USA ne sont certes pas encore apaisées: Trump entend bien rejouer de son billard à trois bandes pour, d’un seul coup, affaiblir la Russie en lui infligeant de super-sanctions indirectes sur ses exportations, forcer les Européens à acheter le très polluant, et cher, gaz de schiste américain, achevant ainsi de torpiller la grande industrie allemande déjà plombée par le coût de l’énergie depuis le dynamitage de North Stream par les services secrets ukrainiens. De la sorte, Trump affaiblit un ennemi systémique (les Russes, et derrière eux, les Chinois, voire les Indiens) et domestique davantage encore l’agressif caniche européen tenu par Ursula von der Leyen, Macon, Merz et Starmer. Quand aux Européens, ils jouent double jeu: ils veulent à tout prix demeurer sous parapluie nucléaire américain, et le tropisme de vassalité l’emporte encore de très loin chez eux: la « souveraineté européenne » est en réalité un joujou de Washington. Mais pour constituer l’ « Europe Puissance » autour d’une Allemagne redevenue le socle du militarisme européen, rien de tel qu’une reprise « démocratique » du slogan hitlérien du Drang nach Osten (la ruée vers l’Est). Rien de tel, pensent ces gens, qu’une bonne guerre de revanche posthume sur le pays d’Octobre et de Stalingrad, tout cela sur fond de connivence de l’UE avec les nazis ukrainiens de la division Azov, pour fonder cet État européen dont Macron, honni par son propre peuple, rêve de devenir le premier empereur (fût-ce sur les ruines irradiés de notre patrie et de notre sous-continent?).
« Front contre front »
Ce qui se dessine alors nettement est bien de l’ordre du réalignement mondial: d’un côté, on a un impérialisme euro-atlantique en voie de ralliement complet à la bannière étoilée et se disposant au « conflit global de haute intensité, « armée européenne » à l’appui, budgets militaires européens montés à 5% du PIB (tant pis pour la « dette »!), intégration totale des ex-défenses « nationales » dans l’OTAN, avec en ligne de mire la Russie et la Chine (comme l’a avoué la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas!); de l’autre côté, on a un Sud-Est global dont les membres sont contraints, pour simplement survivre et espérer porter leur projet de la « multipolarité » inter-souverainiste, de se rapprocher sur tous les plans politique, économique, militaire, sous peine d’être dévorés morceau par morceau par l’Ogre Sam plus boulimique que jamais, puisqu’il rêve même d’absorber le Groenland, le Canada et Panama! Personne n’est devin et mille choses peuvent perturber encore, heureusement, cette marche au « conflit global de haute intensité » que prépare l’état-major français inféodé à l’OTAN et ne travaillant désormais en anglais pour cause d' »interopérativité des armées de l’OTAN ». En ce sens,
Macron et son clone Lecornu ont bien fait de rebaptiser le ci-devant ministère de la Défense nationale en ministère « des Armées » (Trump l’a rebaptisé « ministère de la Guerre »), car un tel redimensionnement des armées, et nombre d’officiers patriotes le dénoncent à raison, n’a plus que faire ni de la « défense » ni de la « nation » puisque la force de frappe nucléaire gaulliste construite pour administrer une « réponse du faible au fort » tout en « sanctuarisant » le « territoire national », devrait désormais « couvrir le territoire européen », y compris les hyper-provocateurs États baltes (ce qui transforme de facto le « parapluie nucléaire français » défendant la nation en en PARATONNERRE attirant préférentiellement sur Paris, Lille, Lyon et Marseille les missiles hypersoniques russes Orechniks en cas de « conflit global de haute intensité »!). Cependant, si l’on observe la courbe géostratégique et que l’on en calcule la dérivée et les limites, on voit que s’y dessinent de plus en plus fort les conditions, voire le périmètre, de la Troisième Guerre mondiale. Laquelle, par la « montée aux limites » qui caractérise les guerres selon Clausewitz, ne pourra que très difficilement éviter, si elle éclate, d’être nucléaire et exterminatrice, avec danger majeur d’anéantissement de l’humanité, et pour commencer, d’éradication « radieuse » de la population FRANÇAISE. C’est pourquoi patriotisme et défense de la paix n’auront jamais été aussi conjoints qu’aujourd’hui alors que la marche de la France au suicide nucléaire ne fait qu’un avec la fascisante euro-dissolution de notre pays dans l’UE-OTAN macronique.
L’impensé de la géopolitique: le prolétariat international
Il manque cependant un acteur majeur dans cette analyse géopolitique, comme dans la quasi totalité des analyses géopolitiques existantes: et ce facteur toujours enterré et refoulé, au sens quasi psychanalytique du mot, n’est autre que l’irruption nation par nation, mais aussi continent par continent et potentiellement, « Pangée » par « Pangée », de la classe travailleuse à nouveau en mouvement après de longues décennies de léthargie liée à la destruction contre-révolutionnaire décourageante de l’URSS et du camp socialiste, aux multiples trahisons dont a été victime depuis des décennies le camp du travail et des peuples (social-démocratie, « eurocommunisme », gorbatchévisme, etc.). Pensons aux multiples grèves ouvrières et parfois paysannes qui ont éclaté depuis la fin de la pandémie: Inde, Mexique du Nord, Grande-Bretagne, Bangladesh, Corée du Sud, Québec, USA, tout dernièrement Italie, Grèce et Belgique, et ces jours-ci même en France où le monde du travail est gros d’un automne chaud s’il parvient à briser l’emprise paralysante du syndicalisme euro-formaté et contre-révolutionnaire de la C.E.S., de la CFDT et, à l’échelle mondiale, de la C.S.I. C’est cet acteur là, invisibilisé par la géopolitique bourgeoise, mais irréductible et contestataire par nature de toute forme de puissance d’État au service du capital, qui peut, qui doit et qui va donner de plus en plus de la voix partout sur le thème « l’argent pour les salaires, pas pour l’économie de guerre« . Et qui, en faisant le lien entre défense de la paix et la reconstruction du progrès social, peut rendre aux peuples la puissante perspective pacificatrice et éco-compatible d’une rupture totale avec l’Union européenne atlantique. En un mot, appeler clairement la classe ouvrière, comme y appelaient de concert Georges Dimitrov et Maurice Thorez au VIIe congrès de l’Internationale communiste, à bâtir, à porter et à projeter dans toutes ses dimensions universalistes, le Front antifasciste, anti-impérialiste, populaire, PATRIOTIQUE, pacifique et désormais, dans les conditions du présent, le Front environnementaliste. Bref, le monde du travail talonné par la crise systémique souterraine du capitalisme et écrasé par l’ « économie de guerre » impérialiste, peut et doit redevenir un sujet géopolitique de premier plan faisant entendre sa voix à l’échelle internationale, défendant les États socialistes existants, dialoguant avec tous les pays en lutte de la planète (notamment, francophones!) et projetant sur l’avenir l’exaltant idéal remobilisateur d’un socialisme-communisme de nouvelle génération. Le plus tôt sera évidemment le mieux, le temps joue contre les peuples en la matière !
Hissez haut le communisme international !
C’est cette orientation internationaliste et patriotique tout à la fois qu’a dernièrement promue le PRCF lors de la conférence audiovisuelle qu’il a organisée pour le 90ème anniversaire du VIIe congrès de l’Internationale communiste. Sur la base d’un texte produit par son Secteur Études et Prospective, le PRCF y a déployé la proposition de fondation d’une nouvelle Internationale Communiste et Ouvrière (I.C.O. !). Tout en combattant le fascisant négationnisme antisoviétique actuel, elle explorerait les voies remobilisatrices d’un socialisme de nouvelle génération mettant en résonance, au profit des Lumières humaines si menacées, une dialectique forte d’émancipation sociale, d’affranchissement national, de codéveloppement transcontinental et de reconstruction d’un cadre environnemental vivable pour tous.
