
Gilda Guibert – 30 avril 2025 – Il y a 50 ans jour pour jour, le 30 avril 1975, l’armée nord-vietnamienne entrait enfin dans Saïgon. Il était 10h45, lorsque le char soviétique T54 numéro 843 de l’armée du Nord-Vietnam défonçait les grilles du Palais de l’Indépendance. Cette image est restée gravée dans toutes les mémoires. Elle symbolise la fin de la guerre du Vietnam et la victoire d’un petit peuple de « va-nu-pieds », des « damnés de la terre » contre la plus grande puissance militaire du monde. C’en était fini de la guerre… DES guerres ! C’en était fini de 117 ans de domination étrangère dont 87 ans d’épouvantable domination coloniale française et presque trente ans de guerre meurtrière et dévastatrice contre la France puis les Etats-Unis ! L’héroïque peuple vietnamien, enfin libre, pouvait choisir son destin, et le pays pouvait récupérer sa souveraineté dont le processus avait été entamé le 2 septembre 1945 lors de la déclaration d’indépendance proclamée par Hô Chi Minh. Ce jour-là marquait la victoire de ses « enfants » et son nom devint celui de la ville reconquise.

1945-1954 : la guerre d’Indochine
De 1940 à 1945, l’Indochine avait vécu sous la férule des troupes vichystes et japonaises qui œuvraient de consort à dépouiller le peuple vietnamien, faisant fi de ses aspirations à l’indépendance et à la souveraineté.

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’administration vichyste était toujours en place, même après que l’Etat français de Pétain ait cessé d’exister. Mais en mars 1945, le Japon craignant une attaque des Alliés, démantela (avec force massacres) d’un seul coup l’administration et l’armée française et mit en place sa propre administration militaire, décrétant la fin de la colonisation française et encourageant la formation de régimes officiellement indépendants mais en réalité à la botte des Japonais. C’était sans compter sur la farouche volonté « de briser toutes les chaînes qui avaient pesé sur le peuple vietnamien durant près d’un siècle afin de faire du Vietnam un pays indépendant », comme le déclara en 1945 Ho Chi Minh, le dirigeant du Vietminh (la « Ligue pour l’Indépendance du Vietnam »). Cette vaste alliance, la plus large possible, conclue dès 1941 entre communistes et non communistes dans le but de conquérir l’indépendance de leur pays, s’opposa immédiatement à ce « gouvernement fantoche », d’autant que la production agricole et minière ayant été réquisitionnée par les vichystes et les Japonais, la pénurie de denrées mena à une épouvantable famine qui fit plus d’un million de morts au début de l’année 1945. Ce gouvernement fantoche, bien incapable d’enrayer la crise économique et humanitaire fut dans l’obligation de donner sa démission avant même la capitulation du Japon en août 1945.

Le 2 septembre 1945, Ho Chi Minh, au nom du Vietminh déclara l’indépendance du pays en proclamant la République Populaire du Vietnam. Mais cette indépendance fut de courte durée.
L’Etat-Major français, refusant l’indépendance du Vietnam, multiplia les provocations. Ainsi à Haïphong en novembre 1946, il fait tirer sur la ville d’Haïphong. Cet acte barbare provoqua la mort de plusieurs milliers de personnes. Le Vietminh décida alors le 19 décembre 1946 de lancer une offensive et Hô Chi Minh lança un appel à la résistance : « Que celui qui a un fusil se serve de son fusil ! Que celui qui a une épée se serve de son épée ! Si l’on n’a pas d’épée, que l’on prenne des pioches et des bâtons ! Que chacun mette toutes ses forces à combattre le colonialisme pour sauver la Patrie ! »
Ce fut le début de la guerre d’Indochine, « le combat du tigre et de l’éléphant » comme le disait Hô Chi Minh. Le tigre, tapi dans la jungle, allait harceler l’éléphant figé qui, peu à peu, se viderait de son sang et mourrait d’épuisement. Il fallut huit ans au tigre pour parvenir à bout de l’éléphant colonialiste.

Peu à peu les Français perdirent du terrain face aux troupes vietnamiennes. Comme l’écrivait Eric Vuillard « La guerre est pour ainsi dire perdue. Tout au plus peut-on espérer lui trouver une sortie honorable ». En fait de « sortie honorable », la guerre d’Indochine se termina le 13 mai 1954 par la lamentable et humiliante défaite de Diên Biên Phu où tout un peuple de paysans fournit armes et ravitaillement à ses combattants grâce à ses « chevaux d’acier » dont le général Giap déclara : « ce sont nos taxis de la Marne ! ».

Cette guerre prit fin officiellement le 21 juillet 1954 lors de la signature des accords de Genève qui ne furent signés ni par les sud-vietnamiens ni par les États-Unis. Ces accords prévoyaient de partager le Viêt Nam en deux zones le long du 17e parallèle. La réunification entre ces deux zones n’était envisagée que pour 1956 après référendum. Mais en fait, les élections prévues n’eurent jamais lieu car Diem, le nouveau chef du gouvernement de l’État sud-vietnamien, anticommuniste forcené et homme de paille des Américains, n’en avait jamais eu l’intention. Il organisa un véritable coup d’Etat avec l’aval des États-Unis : un référendum manifestement truqué étant donné qu’il obtint plus de voix qu’il n’y avait eu d’électeurs et il créa un nouveau pouvoir fantoche : la République du Viêt Nam le 26 octobre 1955, avec lui comme chef suprême. C’est contre cette dictature de Diêm que naquirent de nombreuses vocations communistes donnant naissance au Front national de libération du Sud Viêtnam en 1956 et qu’éclata deuxième guerre d’Indochine dite « guerre du Viêt Nam » sous la houlette des États-Unis.
Mais que venaient donc faire les Américains dans cette guerre galère ? Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils ne débarquèrent pas au Vietnam en 1965. Ils étaient déjà de la partie durant la guerre d’Indochine et les Français ne purent tenir jusqu’en 1954 que grâce à l’aide américaine. Rappelons-nous que le monde était alors en pleine Guerre froide. En septembre 1947, William C. Bullitt, ancien ambassadeur des États-Unis en France, avait déclaré, lors d’un voyage au Vietnam, que le pays pouvait certes être indépendant mais à condition qu’il soit « non-marxiste ». Un an plus tard, le président Harry Truman, plus anticommuniste qu’anticolonialiste, approuva le maintien de la présence française en Indochine. Cette position internationale était inscrite dans la doctrine du containment (endiguement) de Truman en 1947 selon laquelle les États-Unis fourniraient une aide politique, militaire et économique aux pays qui risquaient d’être influencés par les communistes. Face à ce nouvel impérialisme, l’arrivée sur la scène internationale en 1949 d’un puissant allié du Vietminh, la nouvelle République populaire de Chine était un atout important dans la lutte du Vietminh même si les Américains avaient en tête la frénésie de la bombe atomique afin d’éviter ce qu’ils appelaient « la théorie des dominos ». Un pays qui basculerait dans le camp communiste pouvait en entraîner un autre. Alors tant qu’à faire, autant le rayer de la carte : ainsi Mac Arthur en Corée ou John Foster Dulles, secrétaire d’Etat américain et frère du directeur de la CIA, proposant à Bidault le 21 avril 1954 de lâcher deux bombes atomiques sur le Vietnam. Encore heureux que ces solutions extrêmes n’aient pas été mises en œuvre. Il n’en reste pas moins que cette sale guerre coloniale a fait entre 500 000 et un million de morts vietnamiens et que dès le départ des français les rues de Saïgon grouillaient de « conseillers américains ».
1955-1975 : la Guerre du Vietnam

Plutôt donc que de faire partir la guerre du Vietnam de 1965, comme le font les manuels scolaires bien formatés, faisant ainsi penser que les dix années précédentes furent des années de guerre civile – ce qui est faux comme on vient de le voir – il convient d’être très clair et de réintégrer cette guerre dans le cadre de l’impérialisme américain, déjà aux manettes avant 1954. Finalement en novembre 1963, les « faucons » américains, désireux d’envoyer des troupes et d’installer des bases militaires un peu partout au Vietnam, orchestrèrent un coup d’Etat durant lequel celui qui fut leur homme de paille, le dictateur Ngo Dinh Diem fut assassiné le 2 novembre.
Ce fut le successeur de Kennedy, assassiné quelques jours après Diem le 22 novembre 1963, Lyndon Johnson, qui arguant de sécurité des Etats-Unis, prit la décision de l’intervention directe des Etats-Unis après un incident dans le Golfe du Tonkin en août 1964 que les destroyers américains avaient délibérément provoqué. C’était le prétexte tout trouvé pour décider de l’envoi de GI’s au Vietnam, persuadés que leur écrasante supériorité militaire leur permettrait de remporter une victoire rapide.
Les crimes américains

Après une attaque des résistants du FNL (Front National de Libération) en février 1965, des raids aériens commencèrent sur le Nord Vietnam. Bombardiers, chasseurs, hélicoptères, porte-avions… Durant dix ans quelque 7,5 millions de tonnes de bombes furent larguées par les Américains sur le Nord-Vietnam, le Sud-Vietnam, le Laos et le Cambodge (autrement dit sur les bases arrière des troupes vietnamiennes), soit plus que ce qui a été largué pendant toute la Seconde Guerre mondiale par les deux camps.
Le 8 mars 1965 reste officiellement le début de la guerre du Vietnam car ce jour-là 3500 GI’S qui débarquèrent dans la baie de Danang et Johnson renforça très vite ce corps expéditionnaire. En décembre 1965, il fut passé à 185.000 hommes. À partir de 1967, l’armée américaine dut instituer la conscription pour maintenir ses effectifs au combat. On atteint alors plus de 500 000 soldats américains (sans compter leurs alliés sud-coréens, thaïlandais, australiens) venus s’embourber sur le sol vietnamien.

Dès le deuxième semestre de 1965, les soldats avaient reçu un ordre épouvantable qu’ils appliquèrent la lettre : « Search and destroy », autrement dit « rechercher et détruire »). Les opérations dites Zippo (du nom des briquets utilisées pour incendier les villages soupçonnés d’aider la résistance vietnamienne) conduisirent à de véritables crimes contre l’Humanité. Ainsi à My Laï le 16 mars 1968 la compagnie Charlie (ainsi nommaient-ils les communistes) dirigée par le lieutenant Mac Calley massacra-t-elle plus de 500 femmes, enfants, vieillards. A leur retour en Amérique, ces bourreaux furent accueillis en héros pour avoir « porté un lourd coup à l’ennemi ». Des bébés, des vieillards, des femmes violées, des personnes toutes non armées, des ennemis ?

Ce n’est que plus tard que le crime de My Laï fut révélé. Mais rassurez-vous, seul le lieutenant Mac Calley fut accusé très tardivement en 1971 de crimes. Il fut toutefois bien vite libéré par Nixon et finit tranquillement ses jours chez lui. En effet, il n’avait fait qu’obéir scrupuleusement aux ordres qui consistaient à rechercher et détruire les soldats vietnamiens. Et puisque ses troupes n’en trouvèrent pas, elles massacrèrent allègrement les civils. Rien de plus normal au beau pays de la Liberté et du « monde libre ». Sachez que My Laï ne fut que la partie émergée de l’iceberg : des crimes semblables furent commis par d’autres GI’S dans d’autres localités et aucun d’eux ne fut jamais inquiété.
Comme si cela ne suffisait pas, Lyndon Johnson donna l’ordre de bombarder au napalm. Des centaines de milliers de tonnes furent ainsi déversées sur le Vietnam brûlant tout, villages et enfants.. Cette essence gélifiée n’était pas une nouveauté : les Américains l’avaient déjà utilisée contre les Japonais durant la Deuxième Guerre mondiale, durant la bataille de Normandie, sur les villes allemandes comme Berlin ou Dresde et même sur les résistants communistes grecs (Armée démocratique de Grèce) en 1949 et bien évidemment en 1950 sur la Corée du Nord.

Et puisqu’on a dit que les Américains étaient déjà impliqués dans la guerre d’Indochine, sachez qu’en 1951, le grand général français, grand héros de la Libération, De Lattre de Tassigny, donna l’ordre d’envoyer du napalm à grande échelle en janvier 1951 contre les forces du Vietminh à Vĩnh Yên. Napalm fournit par qui ? Par la très américaine Dow Chemical Company bien sûr. On parlera une autre fois de la Guerre d’Algérie durant laquelle le napalm fut utilisé à grande échelle par l’armée française dès 1956.

Mais puisqu’il est ici question de la Dow Chemical Company, nous allons ajouter Monsanto (il y eut en fait une bonne vingtaine de fabricants d’herbicides : mais ces deux-là furent les plus connus) : ces entreprises chimiques produisirent pour le département de la Défense des États-Unis, dès le début des années soixante sous la présidence de Kennedy, un puissant défoliant connu sous le nom d’ « agent orange » (qui dut son nom aux autocollants orange sur les fûts de 200 litres dans lesquels il était stocké car en fait il était plus brunâtre qu’orangé). Il fut répandu de 1961 à 1975 par avion au-dessus des forêts vietnamiennes ou sur des cultures vivrières dans le but de détruire la jungle où se cachaient les combattants vietnamiens et les affamer. Ce furent plus de 80 millions de litres de différents herbicides qui furent ainsi déversés par l’armée des États-Unis dont 61 % de cet « agent orange », utilisé aussi au Laos et au Cambodge. Cet épandage a touché 20 % des forêts du Sud Viêt Nam et empoisonné pour longtemps 400 000 hectares de terrain agricole. Sans couverture végétale, des milliers d’hectares de terres ont été exposés à des glissements de terrain. Par ailleurs, le ruissellement vers les points bas a également charrié les défoliants cancérigènes jusque dans des zones qui n’avaient pourtant pas été visées directement, notamment dans les zones littorales et deltaïques où ils finirent effectivement leur course pour contaminer les populations qui s’y regroupaient (ainsi que leurs animaux, contaminant ainsi toute la chaîne alimentaire) et s’y regroupent encore, plus densément que dans les hautes terres. On peut dire que trois générations ont été touchés par cette guerre chimique. Quatre à cinq millions de personnes furent exposées directement et au moins un million d’entre elles restèrent plus ou moins gravement handicapées. Leurs enfants et petits-enfants furent touchés à leur tour touchés par des cancers, des fausses couches et de malformations congénitales. Aujourd’hui encore, plus de deux millions de personnes dans le pays souffrent de cancers ou de maladies liées à cette exposition chimique.

Ajoutons à ce cortège d’horreurs les assassinats et les tortures commises en toute quiétude, comme cet officier nord-vietnamien Nguyen Van Lem abattu le 1er février 1968 en pleine rue à Saïgon.
Les prisons américaines n’eurent rien à envier à la tristement célèbre prison française de Poulo Condor. Ainsi la prison du cocotier sur l’île de Phu Quoc fut un véritable camp de concentration où 40 000 prisonniers vietcongs subirent les pires tortures. Mais comme le disent les vietnamiens, cette prison, fut la plus grande école de la Révolution.
La résistance vietnamienne

En effet ni les tortures, ni les massacres, ni les bombardements au napalm ni l’épandage de l’agent orange ne réussirent pas à faire plier les combattants vietnamiens bien au contraire. « Vous pouvez tuer dix de mes hommes pour chacun des vôtres que nous tuerons. Mais même ainsi, vous perdrez et nous gagnerons » avait dit Hô Chi Minh.
Ce fut cette détermination sans faille, cette volonté farouche de libérer leur territoire martyrisé qui fit de ces combattants issus du peuple des héros. Jamais les GI’S n’auraient imaginé que ceux qu’ils considéraient comme des sous-hommes (cela ne vous rappelle rien ?), ces soldats si mal habillés – qu’ils qualifièrent du nom péjoratif donné par les sud-vietnamiens de Vietcongs, contraction de Việt Nam Cộng-sản (« communiste vietnamien »), ou alternativement de Việt gian cộng sản (communiste traître au Vietnam) – étaient si résistants et si efficaces.
Il avait fallu en effet à ces combattants du Nord et du Sud (on oublie trop souvent qu’il y avait un Front de Libération du Sud Vietnam, en lutte avec ceux du Nord) adapter leur infériorité militaire en appliquant ce que d’autres résistants l’avaient fait avant eux durant la Deuxième guerre mondiale, des tactiques de guérilla : ils évitèrent les batailles rangées et même si possible les affrontements au corps à corps contre un ennemi surarmé.

Afin d’organiser au mieux leur ravitaillement et l’arrivée de nouveaux combattants, ils utilisèrent et développèrent la célèbre piste Hô Chi Minh qui datait des années cinquante, un vaste réseau de voies de circulation composé de 3000 kilomètres sentiers pédestres et de 20 000 kilomètres de voies carrossables en terre battue ou en gravillons, dont la plus grande partie se situait en territoire cambodgien ou laotien (on comprend mieux dès lors pourquoi le Laos reçut plus de deux millions de tonnes de bombes entre 1964 et 1973, soit un bombardement toutes les 8 minutes. Nombre d’entre elles n’ayant pas explosée au moment de l’impact restent un danger constant pour les laotiens encore aujourd’hui).
La piste Hô Chi Minh fit donc l’objet de bombardements incessants, d’attaques terrestres répétées, ainsi que d’un épandage massif d’agent orange, un défoliant (herbicide) toxique visant à détruire la végétation dense sous laquelle les convois se camouflaient. Elle continua cependant à jouer un rôle fondamental dans la lutte vietnamienne et n’en demeura pas moins ce que la NSA (National Security Agency) a qualifié de « l’une des plus grandes réalisations en génie militaire du XXème siècle ».
Les Vietcongs n’étaient pas des extra-terrestres. Paysans issus des hauts plateaux ou ouvriers des villes, ils connaissaient bien mieux leur pays que l’ennemi. Ils pouvaient se fondre dans la population locale dont ils faisaient partie pour lancer des attaques éclairs, généralement de nuit. Afin de ne pas être suivis, ils portaient des sandales taillées dans des pneus dont la particularité était de pouvoir les porter à la fois à l’endroit et à l’envers pour tromper l’ennemi. Ce dernier pensait que les Viets’ se dirigeaient dans une direction mais en réalité, les résistants marchaient dans la direction opposée.
Ils savaient se camoufler à la fois dans la jungle, dans les cours d’eau et sous la terre. Ils avaient creusé (depuis la guerre d’Indochine) un immense réseau complexe de tunnels très étroits, très bas, qui permettaient à une seule personne seulement de se faufiler dedans en courbant le dos. Il y avait plusieurs étages en profondeur permettant aux combattants de se cacher et même de vivre. Ces tunnels étaient équipés de pièges mortels (explosifs, scorpions, serpents) de toutes sortes capables de semer la terreur et le désarroi parmi les assaillants. Les plus célèbres au nord-ouest de Saïgon étaient les tunnels de Cu Chi. Les Américains, qui ne voulaient plus s’y risquer, y envoyèrent les soldats sud-vietnamiens.

Il ne faudrait toutefois pas oublier l’aide de l’Union soviétique et de la Chine, qui certes ne fut jamais à la hauteur de l’énorme investissement américain, mais qui permit de fournir des canons antiaériens, des chars, des munitions, des grenades et surtout d’innombrables fusils AK-47, qui furent une des armes les plus décisives de la guerre car ces fusils étaient plus performants dans les conditions humides et boueuses de la jungle que les M-16 de l’armée américaine.

Les lignes bougent

A partir de l’offensive vietnamienne du Têt en 1968, qui certes se solda par un échec militaire de l’Armée nord-vietnamienne, mais provoqua un choc dans l’opinion américaine. Comment le pays le plus puissant du monde, l’armée la mieux équipée du monde pouvait-il ainsi s’être laissée surprendre et risquer de tout perdre ? Le mythe du soldat défenseur de la liberté fut plus qu’écorné lorsque les épouvantables photos du massacre de My Laï, de la froide exécution de l’officier vietnamien ou de la petite fille brûlée au napalm crevèrent les pages des journaux américains. (On comprend mieux pourquoi les journalistes ne sont pas acceptés à Gaza et même froidement exécutés à leur tour). Cette guerre fut la dernière grande guerre durant laquelle les journalistes purent photographier, filmer les événements au plus près (il y en eut plus de 600 de toutes nationalités qui couvrirent cette guerre) et plus de soixante d’entre eux y laissèrent leur peau ainsi que 19 journalistes vietnamiens (d’autres tombés lors des combats n’ont toujours pas été identifiés)

Les étudiants américains dont beaucoup avaient l’âge de la conscription commencèrent à manifester aux cris de « US go home ! ». Ces manifestations furent relayées partout dans le monde comme ce 1er mai 1968 à Paris.
Et voilà que l’Histoire se répétait. Il fallait de nouveau trouver « une sortie honorable » à cette guerre et sortir les boys du bourbier vietnamien dans lequel ils pataugeaient depuis des années pour soi-disant aider le régime de Saïgon à contenir une « rébellion » armée communiste. L’image du libérateur s’était muée en image de bourreau et les soldats américains eux-mêmes n’y croyaient plus et voulaient rentrer. C’était sans compter sur le nouveau président américain Nixon qui tout en prétendant « vietnamiser » le conflit et annoncer le retrait des troupes américaines au sol, augmenta les forces aériennes. Du 18 au 29 décembre 1972, l’armée américaine lança une campagne de bombardements massifs sur Hanoï et les principales villes du Nord. Pendant dix jours, la capitale nord-vietnamienne fut ainsi prise sous un déluge de bombes lancées par les B52 lors de 729 sorties aériennes une toutes les vingt-quatre minutes en moyenne. Ce fut le paroxysme de la terreur pour ceux qui n’avaient pas pu s’enfuir dans les campagnes environnantes. Plus de 1500 vietnamiens périrent lors de ces bombardements. La chanteuse Joan Baez était présente à ce moment-là pour soutenir la lutte pour l’indépendance des vietnamiens avec quelques amis. L’un d’entre d’eux, Barry Romo, déclara par la suite : « Je me souviens d’un toast à l’amitié des Vietnamiens et des Américains pendant que les B-52 détruisaient les hôpitaux. Je me souviens de la déclaration faite par l’un des Vietnamiens à nous : « C’est bien que vous soyez ici pour partager nos souffrances, parce qu’après la guerre, vous partagerez aussi vraiment notre joie ». Et il ajoutait : « Les Vietnamiens ne cessent de se faire l’écho de la déclaration de Ho, « Rien n’est plus précieux que la liberté et l’indépendance. »

Ces bombardements ne changèrent en rien la donne de la guerre et les troupes américaines continuent de se retirer entre 1972 et 1973.
En 1974, le Sud reste le principal théâtre de la guerre, qui voit les maquisards du Front national de libération harceler les troupes gouvernementales de la République du Vietnam. On assiste à une inexorable montée en puissance des forces armées de libération qui attaquent définitivement au début de l’année 1975. Deux mois vont suffire à l’armée nord-vietnamienne (et l’armée de libération du sud) pour venir à bout de ce régime corrompu, vicié, en état de décomposition avancée, qu’était le régime fantoche anticommuniste de Saïgon.
Il fallait en venir à bout avant l’arrivée de la mousson dans laquelle les chars de l’armée de libération risquaient de s’embourber. En vingt jours au mois de mars 1975, toutes les grandes villes tombent comme des fruits trop mûrs : Hué, Danang…
La campagne finale, la campagne d’Hô Chi Minh pour la capitulation du sud Vietnam commença le 26 avril 197 et s’acheva en apothéose le 30 avril devant le palais de l’indépendance.
Le 30 avril 1975 : La chute de Saïgon ou la victoire d’un peuple de va nu-pieds contre la machine de guerre la plus dévastatrice du monde.

Alors que les troupes de l’APVN s’approchèrent de Saigon, le président Tran Van Huong, une semaine après avoir remplacé le président Nguyen Van Thieu, quitta le pouvoir le 28 avril 1975 et il fut remplacé par Duong Van Minh. Minh a repris un régime qui était à ce moment-là dans un effondrement total. Cependant, il espérait pouvoir négocier un cessez-le-feu. Mais Hanoi n’a pas accepté de négocier. Il n’y avait plus rien à négocier. Comme à la fin de la Deuxième guerre mondiale, il fallait la capitulation sans condition.
Les soldats de l’armée du Sud Vietnam, désireux des se fondre dans la population civile, abandonnèrent en toute hâte leurs uniformes, leurs godillots qui jonchaient les rues de l’ancienne capitale du Sud-Vietnam.
Le 29 avril 1975, les États-Unis savaient que leur présence symbolique dans la ville serait rapidement importune. Ils organisèrent donc l’évacuation des Américains restants et des réfugiés sud-vietnamiens de la ville par hélicoptère et par bateau. Dans les médias, les photos de milliers de gens s’accrochant et se bousculant pour embarquer aux derniers hélicoptères sur le toit de l’Ambassade des Etats-Unis et d’autres bâtiments sont devenues un symbole de la chute de Saigon. Ce départ précipité honteux, non organisé, non maîtrisé, ne fut en aucun cas « une sortie honorable ».
« Quelle atmosphère de fin du monde, quelle débâcle ! Dans l’espérance dérisoire d’une sortie honorable, il aura fallu trente ans et des millions de morts, et voici comment tout cela se termine ! Trente ans pour une telle sortie de scène ! Le déshonneur eût peut-être mieux valu. » Eric Vuillard, Une sortie honorable.
L’Ambassade américaine fut prise d’assaut par plus de 10 000 personnes. Ces images saisissantes ont fait le tour du monde ; des milliers de Saïgonnais quittèrent la ville par le fleuve.
Au petit matin du 30 avril, l’ambassadeur américain, oubliant tout courage et tout honneur, s’enfuit à son tour sur l’un des derniers vols d’évacuation, suivi peu après par les derniers Marines. Le président Duong Van Minh, qui n’avait présidé que 48 heures, ordonna alors à toutes les forces sud-vietnamiennes de cesser le combat, puis plus tard, il annonça lacapitulation sans condition du régime pro-américain du Sud-Vietnam aux forces communistes et révolutionnaires.


C’est alors qu’on commença à voir entrer dans la ville les jeunes soldats souriants de l’Armée nord-vietnamienne, les Bô dôi pieds nus ou en sandalettes taillées dans des pneus usagés, quadrillant la ville, établissant des barrages, surveillant les carrefours.
À 10h45, le char T54 n°843 enfonça la porte du palais présidentiel. Et enfin un jeune officier hissa le drapeau vietnamien bleu et rouge orné d’une étoile au balcon du palais. Passé la surprise, ce fut un immense soulagement pour l’ensemble de la population, un moment de liesse.

Non, le 30 avril ne fut pas un jour triste comme ose le proclamer dans son article du 27 avril 2025, le journal Libération. Certes, il le fut pour tous ceux qui, comme les collabos de la Deuxième guerre mondiale, avait œuvré durant des décennies contre leur propre peuple. Mais il ne le fut pas pour tous ceux qui avaient souffert sous les bombes, sous le napalm, sous l’agent orange, pour tous ceux qui étaient sortis vivants mais mutilés dans leur chair des épouvantables prisons où ils avaient subi les tortures infligées par les Américains ou les soldats du Sud-Vietnam dont certains semblent encore regretter de toute évidence aujourd’hui « le bon temps des colonies ».
Aujourd’hui, ce cinquantenaire du 30 avril 1975 est fêté partout au Vietnam et rien ne se fait dans la tristesse !
