Avec le Brexit, le seul pays ayant l’anglais pour langue officielle quitte l’Union Européenne. Cette langue n’était déjà parlée, lorsque le Royaume- Uni faisait partie de l’UE – que par 12% seulement des plus de cinq cents millions de personnes des États membres de cette structure supranationale. Pourtant, près de 9 textes sur 10 rédigés par l’UE le sont en anglais, qui est en réalité la langue unique des institutions européennes, de ces fonctionnaires, de ses groupes de travail.
C’est que le choix de la langue est ici un choix idéologique et politique. Celui de la langue commune avec l’impérialisme américain, à l’origine de la création de l’Union Européenne, celui de la langue de Wall street, des marchés financiers, et de l’OTAN. Celui du Capital contre les langues des différentes nations européennes. Une manière aussi de renforcer encore la dictature de classe, celle de la classe capitaliste, contre les peuples, privés ainsi littéralement de droits à la parole. Seuls les « maîtres » parlent en globish. Les gueux n’ont pas le droit à la parole.
Et pour tous ceux qui se croyant « modernes » alors qu’il ne font que suivre les injonctions de l’idéologie dominante participant ainsi à détruire la biodiversité linguistique, biodiversité qui participe directement de la pluralité de pensée et donc aussi bien de la démocratie que de la créativité, ils devraient écouter ce qu’en dit un expert britannique au micro de Radio France à l’occasion de la journée internationale de la Francophonie. On ne saurait quand même accuser d’un tel procès d’intention un locuteur natif de la langue de Shakespeare.
« Hégémonie de l’anglais dans l’UE » : un Britannique s’insurge dans un livre
Devenue hégémonique dans les institutions
européennes, la langue anglaise instaure une « inégalité fondamentale » en
Europe, dénonce un expert britannique, Robert Phillipson, qui a fait de
cette question un livre, « La Domination de l’anglais : un défi pour
l’Europe », paru aux éditions Libre et Solidaire. Et le Brexit ne devrait
rien y changer.
« La langue hégémonique qui était au début le français est
maintenant l’anglais », déplore ainsi Robert Phillipson, spécialiste des
droits linguistiques et directeur de recherche au département d’anglais
de l’École des hautes études commerciales de Copenhague.
« L’anglais est une sorte de coucou linguistique : il prend le dessus là
où d’autres couvées linguistiques nichaient et il force les locuteurs
non natifs de l’anglais à adopter ses coutumes et sa langue », analyse le
Britannique.
En 1973, quand le Royaume-Uni est entré dans l’UE, 60% des documents de
la Commission européenne étaient rédigés en français et 40% en allemand.
Aujourd’hui, ils sont en anglais à 82%, et seulement à 3% en français,
qui reste cependant la deuxième langue source, selon des chiffres
officiels.
« Quasi-monopole » de l’anglais promu comme « panacée linguistique »
Ce
« quasi-monopole » a « entraîné une obligation de fonctionner en anglais,
qui est acceptée et internalisée », souligne Robert Phillipson dans un
entretien à l’AFP, peu avant la journée internationale de la francophonie le 20 mars.
« Beaucoup de fonctionnaires utilisent plutôt l’anglais que leur langue »,
souligne-t-il. « L’anglais est promu comme panacée linguistique alors
que seulement 62 millions de personnes au sein de l’UE ont l’anglais
comme langue maternelle (sur un total de 512 millions en 2015), et moins
de la moitié des autres peuvent l’utiliser comme langue étrangère »,
rappelle l’expert.
« On présume que vous devez parler anglais pour être pris au sérieux », ce
que les fonctionnaires acceptent largement, parfois à leurs risques et
périls. Il rappelle ainsi le cas d’une ministre danoise, qui présidait
une réunion à Bruxelles, qui a cru bon de s’excuser en anglais de ne pas
avoir une maîtrise parfaite des dossiers car venant d’être installée.
Croyant bien faire, elle s’est alors dite « at the beginning of my
period », qui, en anglais, se traduit plus comme « au début de mes
règles ».
« Impérialisme linguistique »
Cet « impérialisme linguistique », dénonce Robert Phillipson, peut mener à un « abêtissement technocratique vers un euro-anglais simplifié, une langue parlée avec imprécision, provoquant la multiplication des difficultés ».
L’UE compte quelque 1.531 traducteurs. Deux millions de pages sont traduites par an et 10.000 réunions bénéficient d’une traduction chaque année. Pourtant, selon une étude externe des services d’interprétation de l’UE, datant de 2001, 25% des sondés se sont plaints qu’il leur a été impossible de parler leur propre langue et 28% qu’il n’y avait pas traduction dans leur idiome.
Or la Charte des droits fondamentaux de l’UE de l’an 2000 engage l’Union à respecter la diversité linguistique (article 22) et son article 21 interdit toute discrimination basée sur la langue. Les 24 langues officielles ont, en théorie, les mêmes droits.
« Subrepticement, c’est notre pensée qui s’anglicise »
Pourtant,
il y a « une inégalité fondamentale entre, d’un côté les anglophones, et
les non-anglophones ». « Or une langue n’est pas seulement un instrument.
Petit à petit, subrepticement, c’est notre pensée qui s’anglicise », une
« McDonaldisation » qui lamine la diversité, s’inquiète Robert
Phillipson.
L’expert britannique y voit une raison essentielle du « déficit
démocratique notoire de l’UE », de l’abstention grandissante aux
élections européennes et même de la poussée des populismes en Europe.
La même hégémonie au sein de l’Onu
L’hégémonie de l’anglais est également notable au sein de l’Onu, souligne une étude réalisée en octobre 2018 par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF, basée à Paris). Au siège à New York, près de 85% des documents sont rédigés en anglais, et 2% seulement en français, deuxième langue de production. Cette proportion dépasse à peine les 10% aux bureaux de l’Onu à Genève, ville pourtant francophone (et 84% en anglais).
Le Brexit, s’il a lieu, fera partir la seule nation ayant choisi l’anglais pour langue officielle au sein de l’Union européenne, l’Irlande ayant choisi le gaélique et Malte, le maltais. Pourtant, « il est très peu probable que le Brexit change quoi que ce soit », estime Robert Phillipson, « car les employés des institutions européennes ont pris l’habitude de travailler principalement en anglais ».