Quand, au titre du PRCF, j’ai rencontré Jean-Luc Mélenchon en juillet 2016 (c’était l’époque où il se disait encore « indépendantiste français », où il déclarait fièrement: « l’UE, on la change ou on l’a quitte! », et où il ne snobait pas les orgas suspectes de marxisme-leninisme…), j’ai profité de l’occasion pour lui demander de recevoir aussi l’association COURRIEL, qui combat le tout-anglais neo-colonial et défend la langue française sur des bases internationalistes. Tout en acquiescant sur le principe, – Léon Landini m’en est témoin -, JLM avait alors surenchéri en définissant l’anglais comme la « langue de l’occupant » ; j’avais alors pensé en moi-même « On ne t’en demande pas tant… »
Bien sûr, de rendez-vous dédié à la résistance linguistique, point! Et sitôt passée la présidentielle 2017, ce fut au contraire le virage sur les chapeaux de roues: celui du ralliement de principe à l’UE (l’UE on y reste même si rien n’y change…), un virage à la Tsipras assorti, comme c’est logique, de l’idée qu’il n’y a rien de choquant à ce que le tout-globish de l’UE, de l’OTAN et des traités euro-atlantiques évince à grand pas la langue de Molière en France, celle de Dante en Italie, celle de Goethe en RFA et, pendant qu’on y est, celle de Shelley en Angleterre: confondant toutes choses pour rester dans l’air du temps, JLM appelle désormais cela de la « créolisation » linguistique alors qu’il s’agit manifestement d’une entreprise de colonisation culturelle tendant à imposer à la planète entière une (non-) langue unique subrepticement porteuse de politique, d’économie et de pensée uniques…
Mais il y a plus fort encore. Faute d’avoir levé le petit doigt pour la défense de notre langue extrêmement menacée en totale violation de l’article II de la Constitution (« la langue de la République est le français »), JLM vient de déclarer sans rire que « le français ne nous appartenant plus »: en effet, la « Franco »phonie étant devenue mondiale, il faudrait en changer le nom pour que les autres peuples francophones puissent se l’approprier sans complexes. Beau raisonnement typiquement idéaliste qui consiste à croire qu’on change le fond des choses en changeant la forme des mots…
Car de deux choses l’une et si la Francophonie internationale est en effet grevée par le passé colonial de la France bourgeoise, c’est plutôt avec les rapports néocoloniaux objectifs qu’il faut rompre pour rendre notre langue commune plus sympathique aux peuples africains sans pour autant l’arracher aux Romands, aux Wallons ou aux Québécois qui, que l’on sache, ne se battent pas pour défendre chez eux l’usage du « romand », du « francophone » ou du « québécois », mais bien celui du… français !
Et si à l’inverse le français est d’ores et déjà, ce qui est objectivement le cas depuis longtemps, la langue commune des Congolais de Kinshasa, des Belges de Charleroi ou des Québécois de La Contrescarpe, lesquels aimeraient plutôt que la France officielle se couche un peu moins en tous domaines devant l’empire anglo-saxon, alors à quoi rime la nouvelle sortie de JLM?
Lequel du reste ne dit pas comment il faudrait rebaptiser et, si j’ose dire « everywheriser », notre malheureux idiome national ET international déjà si malmené: « le francophone »? Le « french »? Le « créole » comme s’il n’y en avait qu’un de par le monde ? Voire le melenchonien dans le texte?
Tout cela est profondément ridicule pour deux raisons : la première, c’est que, philosophiquement parlant, JLM confond l’universel abstrait de la mondialisation capitaliste, qui assimile l’universel avec la destruction des particularités concrètes. Mais l’universel concret de l’histoire réelle intègre au contraire en les dépassant les origines concrètes des choses tout en les communisant.
La seconde raison est autrement plus grave car elle appelle à rompre totalement le lien entre la langue française et la nation française… Et cela au moment où la bourgeoisie postnationale française ne demande pas mieux qu’à larguer les amarres avec le français… et avec la France elle-même pour pouvoir passer à l’Empire euro-atlantique sous dominance germano-americaine. Si bien que rebaptiser le français ne changera rien au fait que plusieurs pays de l’Afrique occidentale aient déclassifié le français… du moins tant que nous n’aurons pas fait la révolution ici en jetant bas toute velléité de rapports inégalitaires OBJECTIFS (militaires, économiques, etc.) avec le Niger, le Burkina et le Mali.
En revanche cette attaque de Mélenchon contre le statut national de la langue française ne tombera certainement pas dans l’oreille d’un sourd, Macron lui-même ayant déjà annoncé mezzo voce qu’il conviendrait de « denationaliser » la langue française. Bien entendu « pour la dégager de tout esprit colonial ». Ben voyons !
Il ne faut pas rester au millieu du gué : camarades insoumis, le mot France étant lui-même entaché de relents coloniaux, voire lepenistes, vite, vite, trouvons-en un autre histoire de finir d’abandonner le pays, cette France des travailleurs qu’a si bien chantée Ferrat, à Le Pen, à Bardella, à Zemmour et à Maréchal-Le Pen!
Alors vite, vite un concours pour rebaptiser la France insoumise elle-même dont l’appellation est si franchouillarde. Pourquoi pas, pour lancer le débat, la Melenchonie, la Macronie étant déjà sur les starting-blocks…
Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites. Ni de cap politique clair pour une France de moins en moins insoumise, hélas, à la Barbapapa idéologique de nos temps nébuleux.