La rectrice d’Académie de Dijon a eu une idée géniale pour remédier au manque endémique de profs de français. S’agit-il pour elle de suggérer au ministre de la Fonction publique de rendre le métier d’enseignant plus attractif en augmentant les traitements, en renonçant aux contre-réformes scolaires absurdes, en soutenant enfin les profs contre les parents abusifs, en contrant les campagnes de haine du Point à l’encontre des fonctionnaires ou en cessant de présenter le français comme une langue sans intérêt, l’avenir appartenant comme chacun sait au tout-globish de la mondialisation néolibérale? Eh bien vous n’y êtes nullement: les têtes pensantes de l’Académie bourguignonne ont tout bonnement proposé de recruter au petit bonheur des étudiants de diverses disciplines pour que, moyennant quelques semaines de stage (il faut bien un peu d’habillage pour rassurer les parents…), les heureux recrutés acquièrent une « qualification » leur permettant d’enseigner du jour au lendemain les Lettres sans passer des examens universitaires et des concours donnant droit à des statuts si encombrants… pour l’employeur! Après tout, ne sommes-nous pas tous francophones? Dès lors, ne sommes-nous pas tous qualifiés d’avance pour enseigner le français, La Fontaine et autres vieilleries? De même, si vous connaissez la table de multiplication par 5 et que vous sachiez combien vous avez de doigts à chaque main, n’êtes-vous pas tout désignés pour enseigner l’arithmétique du jour au lendemain, que vous ayez ou non passé une licence de maths ?
Allons au bout de cette logique brillante : le plus qualifié pour enseigner la course à pied, vu qu’il galope naturellement plus vite que n’importe quel (toujours trop coûteux) étudiant d’EPS, ne serait-il pas… un cheval ou un zèbre? Pourquoi du reste s’encombrer de médecins ou d’infirmiers pour soigner les malades à grands frais vu qu’il suffit de quelques leçons de secourisme pour que chacun puisse, au premier coup d’œil, distinguer entre une rage de dents et un panaris interdigité? Vous avez dit « métier », « grilles de qualifications », « diplômes », « carrières », « formation » de haut niveau ? Vieilleries que tout cela, rien ne vaut un bon « job dating » organisé de A à Z par l’employeur avec, en finalité, non pas le respect du travailleur, des métiers, des diplômes, de la nation et des usagers, mais… la sacro-sainte « baisse du coût du travail » prônée par le MEDEF et par l’Union européenne?
Soit. Mais dans ce cas, commençons donc par appliquer ce « choc de simplification », comme ils disent, aux très hauts fonctionnaires proches des politiciens du grand capital qui concoctent des réformes pareilles. Car pour concevoir ces merveilles, il est inutile d’avoir fait des études longues permettant de toucher de très hauts salaires aux frais de la République: il suffit-il d’être un triste individu, de considérer l’humain comme un coût à réduire, les enfants du peuple comme une tourbe sans intérêt, la langue nationale comme un boulet et l’idée même d’un bien commun comme un archaïsme digne de Cro-Magnon!
Nous nous souviendrons donc de vous, Messieurs-dames issus des beaux quartiers, quand, sous le socialisme et le pouvoir de la classe travailleuse, il s’agira de faire des économies massives en vous employant enfin au prix que vous valez réellement, ainsi que vos contre-réformes inhumaines !