Soulignant l’antagonisme irréductible entre réformisme et combat révolutionnaire, Lénine n’en récusait pas moins l’opposition anti-dialectique entre réformes et révolution: « les réformes, écrivait-il, sont les retombées des luttes révolutionnaires ». C’est plus simple à saisir qu’il n’y paraît car si le réformisme consiste à cantonner les revendications populaires dans les limites prescrites a priori par la bourgeoisie, cela signifie que cette dernière est par avance la seule maîtresse du jeu social. Dès lors, dans les périodes de régression sociale, les « réformistes » de la veille seront d’avance réduits à accepter les CONTRE-reformes « inévitables » en tentant seulement de les aménager à la marge comme le fait la première CFDT venue. Au contraire, c’est lorsque les militants de la classe ouvrière ont osé percuter le cadre prescrit par « la dette souveraine », « l’économie de guerre », la « compétitivité internationale », etc., bref quand ils sont partis de la logique des besoins populaires – ce que Marx appelle le communisme -, et non pas des « exigences indépassables » fixées par la chasse au profit maximal, qu’ils ont, non seulement ébranlé la vieille société et ouvert l’horizon historique, mais qu’ils ont obtenu bien plus en quelques semaines que ce que le « prudent » réformisme avait parfois « grappille » en un demi-siècle : sans sortir de France on pense aux avancées considérables de 36, 45, 68…
Tout cela a été confirmé avec éclat par la séquence sociale de 2023/25: durant toute l’année 2023, les travailleurs ont sagement défilé 13 fois pour empêcher le report à 64 ans du départ à la retraite. Pressé par l’Europe et par le MEDEF, Macron est passé en force à coups de 49/3 et il s’est moqué de l’intersyndicale pilotée par la CFDT. Et aussitôt la noria des contre-réformes, des privatisations et des délocalisations s’est remise en marche, frappant à tour de bras les chômeurs, les paysans, les retraités… Il aura au contraire suffi que des collectifs militants indépendants des confédés réformistes lancent sur les réseaux la journée « bloquons tout ! », aussitôt relayée et atténuée par Marylise Léon et autres Sophie Binet pour que, subitement, la Macronie paniquée sacrifie du jour au lendemain le plan cauchemardesque du gouvernement et que, pour sauver ce qui peut l’être du « bloc central » et de son appendice « socialiste », préserver le pouvoir bourgeois et ménager les fondamentaux de la « construction européenne », Lecornu II propose un report de la contre-réforme des retraites et manœuvre également en recul sur divers dossiers sensibles pour les assurés sociaux et les chômeurs. Bien évidemment on est très loin du compte. Mais que n’eût-on pas obtenu si, comme avant la mutation social-démocrate du PCF et le ralliement de la direction CGT au syndicalisme CFDT- et UE-compatible, le mouvement ouvrier disposait encore aujourd’hui d’un PC de combat associé à un grand syndicat rouge?
Moralité : jamais les révolutionnaires, qui ne sont pas des gauchistes, n’ont craché sur les réformes du moment qu’elles apportent un mieux, si faible soit-il, aux travailleurs. Mais même pour obtenir des réformes qui soient autre chose qu’un enrobage des contre-réformes maastrichtiennes, voire des cadeaux empoisonnés payés cent fois trop cher, il vaut mieux, c’est clair, être révolutionnaire que réformiste.
CQFD.

