
Par Georges Gastaud, auteur du Nouveau défi léniniste (Delga) Il y a six décennies, Mao Zedong lançait dans le journal du PC chinois (le Quotidien du peuple) une campagne que les commentateurs occidentaux et que les relais gauchistes du maoïsme occidental ont alors résumée sous l’expression imagée « faire feu sur le quartier général! ». Pour se prémunir des critiques portées à son encontre par Liu Shaoqi, alors président de la République populaire, ainsi que par Deng Xiaoping, qui critiquaient l’un et l’autre le « Grand Bond en avant » (la coûteuse politique économique ultra-volontariste que Mao avait lancée une décennie plus tôt pour tenter en vain de forcer les rythmes objectifs de la construction socialiste…), Mao appelait à désobéir aux instances élues et dûment mandatées du Parti et de la République populaire ; il incitait la jeunesse à la rébellion contre l’Etat socialiste et contre la direction du Parti (« l’état-major »); il refusait que le Parti fît le nécessaire pour réguler le chaos qui se développait alors dans les universités et il exacerbait sur ces entrefaits la prétendue et très chaotique « grande Révolution culturelle prolétarienne (GRPC) » et son cortège d’exactions tournées contre les intellectuels, les universitaires communistes et les cadres expérimentés du Parti : des exactions dont les Alain Badiou et Cie ne se sont toujours pas vraiment dépris 60 années plus tard malgré le bilan politique, géopolitique et économique pour le moins contesté, si ce n’est tragique, de la « GRCP ». Certes il ne s’agit pas d’idéaliser a contrario la politique économique alors prônée par Deng Xiaoping et dont le pragmatisme revendiqué et débridé (« qu’importe qu’un chat soit noir ou blanc s’il attrape des souris ») s’est ensuite déployé sans frein durant les années 80/2000 en produisant à la fois un fort développement économique (en lien avec la mondialisation néolibérale) mais aussi en creusant de fortes inégalités sociales dans la formation sociale chinoise. Il ne s’agit pas davantage de considérer que la politique économique passablement révisionniste choisie durant la même période en URSS (réformes Liberman et Trapeznikov) était beaucoup plus juste car une déviation de droite ne peut davantage servir à rectifier une déviation gauchiste que le gauchisme ne peut faire contrepoids à une déviation droitière: en réalité, les déviations de droite et de gauche ne s’annulent pas, elles se cumulent et se nourrissent souvent l’une l’autre. Du reste, ce gauchisme débridé et anarchisant n’aura nullement réduit in fine les éventuelles déviations de droite dans le Parti, il les aura au contraire créditées en leur donnant l’apparence de la sagesse économique. En outre, non seulement le maoïsme débridé n’a-t-il pas permis aux partis communistes et à l’URSS, alors pilotée par des dirigeants post-staliniens issus du khrouchtchévisme, de regauchir sa ligne mais tout au contraire, la flambée gauchiste mondiale a mondialement discrédité le mot « marxisme-léninisme » en permettant aux dirigeants révisionnistes notamment occidentaux, ceux du PC italien en tête, de se faire passer par contraste pour des gens parfaitement raisonnables. Le bilan géopolitique de ce « feu nourri sur le quartier général » fut finalement désastreux pour le communisme mondial: division et implosion du Mouvement communiste international, paralysie et division du PC chinois, errances économiques, « schisme » sino-soviétique ouvrant la possibilité pour les USA de Nixon de s’allier machiavéliquement à la Chine populaire pour isoler l’URSS tout en donnant du champ politique au courant réformiste droitier occidental de l' »eurocommunisme »…
Combien en réalité, l’appel démagogique lancé à la jeunesse par Mao pour déstabiliser la direction du Parti, percuter en réalité son rôle dirigeant et celui de la classe ouvrière tout en parlant de révolution « prolétarienne », nier la place par nature centrale de la théorie marxiste-léniniste (remplacée de fait par les citations du « petit livre rouge »!) dans la construction du parti et de sa jeunesse, était-il en fait diamétralement antagonique de ce que Lénine appelait, lui, « révolution culturelle » et qu’il résumait par ces mots adressés aux jeunes du Komsomol soviétique : « pour construire le socialisme, que devons-nous faire? Premièrement, apprendre ; deuxièmement, apprendre ; troisièmement, apprendre encore et encore »!.
Bien entendu il ne s’agit pas pour autant de nier globalement l’apport éminent de Mao à la direction initiale du Parti et de la lutte armée révolutionnaire (« Longue marche »…) qui, en conjuguant les intérêts de classe populaires au puissant patriotisme chinois, aura permis à la nouvelle Chine d’émerger du Moyen Âge, de balayer l’impérialisme japonais (avec l’aide de l’Armée soviétique victorieuse en Mandchourie), de jeter les bases du socialisme chinois, et à travers des soubressauts tragiques que le peuple et le parti chinois auraient peut-être pu s’épargner, de construire la Chine puissante et le fort PC expérimenté que pilote aujourd’hui Xi Jinping en rejetant le gauchisme tout en extrayant son pays de la très décadente mondialisation américaine .
Encore est-il indispensable de bien méditer sur le type d’embardée gauchisante qui, sous couvert de précipiter les changements sans tenir compte des possibilités objectives, aura moins permis d’accélérer les rythmes de construction de l’appareil socialiste que de fracturer, et finalement, de ralentir pour un temps le mouvement ouvrier chinois et international au moment même (guerre du Vietnam, élan révolutionnaire des années 60/70 en Afrique, en Europe et en Amérique latine…) l’unité et la discipline mondiale indispensable des forces révolutionnaires mondiales.





