Réflexions sur le conflit entre Téhéran et l’Axe israelo-euro-atlantique

Par Georges Gastaud

Exploitant le fait que la République islamique d’Iran est clairement oppressive à l’encontre des femmes, du mouvement ouvrier et des secteurs rationalistes et non pratiquants de la société iranienne, une campagne belliciste est menée par les médias de la triade israelo-euro-atlantique dans le but de justifier la guerre d’agression sans fin que mènent Israël et ses parrains étasuniens contre l’Iran et, plus globalement, contre toute puissance encore en état, après la mise au pas de l’ex-Syrie laïque, de résister au reformatage du Proche-Orient engagé par les USA lors de l’invasion de l’Irak à l’initiative de G.W. Bush en 2003.

Pour voir clair sur ces questions, que la presse occidentale, « gauche » établie en tête, embrouille à l’envi, il faut notamment avoir à l’esprit les éléments d’appréciation suivants :

a) des marxistes, et plus globalement d’authentiques progressistes, doivent savoir distinguer entre :

* le « soutien politique » et, a fortiori, l’appui idéologique qu’il faut impérativement apporter aux Etats et aux mouvements appartenant au camp ouvrier et progressiste, par ex. à Cuba socialiste, au Burkina Faso sankariste, aux ouvriers et paysans indiens conduits par des syndicats rouges, etc. et, d’autre part…

* le soutien « militaire » qu’il importe d’accorder à tout Etat ou à tout mouvement affrontant l’impérialisme et.ou l’hégémonisme EN TANT QUE cet État ou que cette entité sociopolitique affronte ledit impérialisme et, a fortiori, en tant qu’il résiste à l’hégémonisme planétaire. Un tel soutien, il convient de m’accorder quand bien même le régime conduisant cette résistance n’aurait rien de sympathique d’un point de vue progressiste et qu’il mériterait PAR AILLEURS d’être combattu politiquement et idéologiquement (sans jamais que cela ne justifie de s’allier pour l’abattre à  l’hégémonisme euro-états-unien et à ses collabos locaux) en mobilisant à cette fin les secteurs ouvriers, démocratiques, féministes et laïques de la société.

Bien entendu le soutien politique, et a fortiori le soutien idéologique implique le soutien « militaire », mais la réciproque n’est pas toujours vraie. Faut-il dire que le « soutien militaire », n’implique pas nécessairement un engagement guerrier au côté des forces de résistance: cette expression signifie avant tout qu’il faut militer dans les masses pour la défaite militaire de l’agresseur hégémoniste dans le conflit qui l’oppose à la force résistante considérée;

b) il faut comprendre que, à notre époque, l’impérialisme devenu hégémonisme, voire exterminisme, c’est-à-dire menaçant pour la survie globale de l’humanité, est objectivement l’ennemi principal des peuples et de la paix mondiale, si ce n’est celui du vivant en général tant il est vrai que la fraction hégémoniste du capitalisme mondial, cette phalange de choc d’un mode de production capitaliste devenu historiquement obsolète, conduit l’humanité à la déroute sur tous les terrains, militaire, environnemental et plus globalement, anthropologique.

Une telle remarque ne relève nullement d’une forme d’abstraction hyper-theorique, elle prend simplement acte d’une donnée de base de notre temps sans la prise en compte de laquelle on ne peut littéralement rien comprendre au sens général des processus géopolitiques en cours : par ex. si l’hégémonisme états-unien a finalement frappé l’Iran après avoir semblé lâcher quelque temps Netanyahou, et s’il a voulu d’abord négocier, au moins en apparence, avec Téhéran, ce n’est pas seulement parce que la théocratie fasciste de Netanyahou et les milieux néoconservateurs américains sont profondément intégrés, voire pour une part fusionnés, c’est surtout parce que le projet de domination régionale d’Israël (le « Grand Israël » se partageant le Proche-Orient avec les pétromonarchies arabes) s’insère stratégiquement dans le projet mondial de domination euro-états-unien ; en effet, ce projet globalitaire passe, entre autres aspects, par le démantèlement de l’État national iranien, ce maillon jugé trop fort des BRICS soudant géographiquement la Fédération de Russie à la Chine populaire tout en arrimant l’Eurasie au Sud global via les « nouvelles routes de la soie » chères à Pékin…

Rappelons à ce stade que des marxistes, et plus globalement de véritables humanistes, ne doivent pas seulement considérer les situations locales, ils doivent apprécier géopolitiquement la signification des processus politico-militaires en examinant l’évolution globale du rapport des forces entre le Capital et le Travail, entre l’impérialisme et les peuples en quête de libération nationale, entre l’exterminisme capitaliste et l’humanité laborieuse, mais aussi la jeunesse du monde, éprise de vie et tendant objectivement, sinon consciemment pour l’heure, vers un socialisme-communisme de nouvelle génération: un socialisme-communisme dont la dimension anti-exterministe serait impossible à sous-estimer dans la mesure où sa tâche proprement anthropologique serait, non seulement d’en finir avec l’exploitation de classe, mais bien de réassurer la vie et l’humanité). 

Ainsi, comme on le voit, l’analyse géopolitique marxiste-leniniste et le patriotisme véritable marchent désormais du même pas et, comme le montrent a contrario les ténébreux exemples de l’Ukraine pronazie, du Kosovo mafieux ou du Kurdistan irakien livré à l’alliance suicidaire antisyrienne avec l’impérialisme US, et peut-être prochainement de l’Arménie confiant son sort à la Macronie, les mouvements nationalistes qui se fichent de savoir quel rôle l’impérialisme et l’hégémonisme leur font jouer à l’échelle mondiale, sont assurés de devenir les idiots utiles de l’oligarchie euro-israelo-atlantique avant d’être impitoyablement largués par elle dès qu’elle aura atteint ses buts propres: Zelensky est du reste en passe d’éprouver cette dure vérité à ses dépens car ce n’est jamais le nationalisme qui dirige l’impérialisme, c’est toujours au contraire l’impérialisme qui « chevauche », selon ses intérêts du moment, le nationalisme, le supranationalisme, l’intégrisme religieux, etc., et qui les recrute ou qui les rejette selon qu’ils servent ou non ses manigances planétaires. Bref, si un peu de patriotisme éloigne des préoccupations planétaires, beaucoup y ramène !

Une autre raison très empirique et très « terre-à-terre » commande de ne jamais faillir aux luttes anti-impérialistes et de ne jamais s’allier à l’impérialisme, et a fortiori à l’hégémonisme qui est présentement la phalange de choc planétaire du premier : aucune alliance n’est en effet permise avec ce monstre  absolu, fût-ce sous couvert d’émancipation féminine, de progrès social, de défense de la laïcité, de défense environnementale, etc., car nulle part l’impérialisme, et a fortiori l’hégémonisme n’ont apporté aux peuples la liberté, les Lumières et la paix: depuis longtemps en effet, la bourgeoisie dominante devenue oligarchie transcontinentale, n’est plus capable de fournir à l’humanité, fût-ce avec les graves étroitesses qui caractérisaient ceux-ci, des La Fayette, des Carnot, des Washington, voire des Bonaparte: l’oligarchie bourgeoise n’a désormais plus en stock que des exterminateurs à la Hitler, des Truman fauteur d’Hiroshima, des Kissinger alliés à Pinochet… ou, à notre époque, des Netanyahou génocideurs de Gaza et  c’est cela que refusent de comprendre les petits bourgeois qui, de Belgrade à Tbilissi, s’allient à l’Union européenne pour fomenter des « révolutions oranges » et autres « regime changes » à l’américaine. Rappelons-nous la manière dont l’impérialisme a aidé à la « libération » des ex-pays socialistes européens (ruinés, pillés, désindustrialises et nationalement en perdition : Bulgari, Roumanie, etc.), de l’Irak baasiste, de l’Afghanistan « communiste », de la Libye khadafiste, de l’ex-Yougoslavie socialiste et fédérale, de la Syrie souveraine, et maintenant de l’Ukraine postsoviétique en voie de disparition. Du reste, quand ils le peuvent, les forces hégémonistes se passent des petits bourgeois roses, verts ou bleus clairs, et ils s’allient localement sans vergogne avec les forces les plus réactionnaires, des talibans aux intégristes israéliens en passant par les néo-nazis ukrainiens, par les terroristes ouïghours, par les bouchers de Daesch ou par les illuminés de la secte bouddhiste ultra-réactionnaire Falungong car tout et n’importe quoi est bon pour contrer le PC chinois…

Souvenons-nous aussi du fait que, avant la Révolution iranienne (qui comportait au départ une forte composante marxiste contre laquelle l’impérialisme français avait gardé sous serre et « en réserve »… l’ayatollah Khomeiny !), les Occidentaux ont longtemps imposé puis porté à bout de bras l’atroce régime du Shah d’Iran secondé, en fait de « modernité à l’occidentale », par les tortionnaires sadiques de l’abominable Savak…

c) Mais comment soutenir alors les forces ouvrières, démocratiques, féministes, écologistes, contre leurs oppresseurs locaux quand ces derniers font obstacle si peu que ce soit à l’hyper-predation de l’hégémonisme euro-israelo-états-unien ? Pour répondre à cette question sur des bases de principe, il faut se souvenir de la devise donnée par Marx à la Première Internationale ouvrière : « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Ce qui signifie clairement que les militants franchement communistes doivent travailler à soutenir ou à reconstituer partout des partis marxistes-leninistes nationaux et à réactiver un puissant Mouvement communiste international de combat tout en mettant offensivement en débat le projet d’une Internationale Communiste et Ouvrière.

Il faut également soutenir la renaissance du syndicalisme de classe international dont la Fédération Syndicale Mondiale est aujourd’hui la forme organisée. Il ne s’agit pas là d’une vue de l’esprit, car depuis le début des années 2020, se développent partout de larges mouvements prolétariens grévistes, de l’Inde au Bangladesh, du Mexique à la Corée du Sud, de la Grande-Bretagne au Québec et, plus récemment, des USA à l’Italie en passant par la Grèce et la Belgique. Or, la Libération nationale des peuples comme la cause de leur émancipation sociale, sans parler de l’affranchissement mondial du sexe féminin, sont choses trop sérieuses pour être déléguées aux BRICS dont la composition sociale et l’orientation idéologique (pensons à l’Inde de Narendra Midi…) est pour le moins composite…

Par exemple, il faut apporter une solidarité politique résolue aux communistes iraniens du Parti Toudeh qui, sans s’allier en rien aux hégémonistes israelo-atlantiques, et tout en accomplissant si besoin leur devoir patriotique face à l’agresseur comme le font les communistes russes face au régime criminel de Kiev, n’en contestent pas moins radicalement et politiquement le régime islamiste et anticommuniste des ayatollahs, de même que les communistes russes restent des opposants résolus au parti « Russie unie » de Poutine tout en se portant au premier rang dans la lutte contre l’OTAN et le régime. Comme on le voit, il ne s’agit nullement de « doser » savamment le soutien militaire qui doit être total face à l’hégémonisme exterministe, de même que doit être total le soutien politique apporté aux forces prolétariennes s’orientant vers le socialisme. 

Car au final, les luttes antifascistes, anti-impérialistes, anti-impérialistes, anti-hegemoniques sont, à des degrés divers, des composantes objectivement complémentaires de l’engagement anticapitaliste pour l’émancipation générale de l’humanité.