
Dans un contexte où l’école cristallise de nombreux débats et attentes, le « prof bashing » d’an globbishisme qui désigne cette dévalorisation systématique des enseignants dans l’espace public et médiatique – prend une ampleur inquiétante. Pourtant, les données récentes de la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP) pour l’année 2022-2023 révèlent une réalité bien éloignée des clichés : les enseignants à temps plein déclarent travailler en moyenne 41,4 heures par semaine hors vacances scolaires, soit l’équivalent d’un temps plein dans le secteur privé, avec des amplitudes et des responsabilités largement sous-estimées.
Un temps de travail fragmenté et étendu
L’enquête montre que le métier d’enseignant ne se résume pas aux heures passées devant les élèves. En moyenne, sur ces 41,4 heures, seulement 21,3 heures sont consacrées à l’enseignement proprement dit. Le reste du temps – près de la moitié – est absorbé par la préparation des cours (13,9 heures), la correction des copies, la documentation, les réunions pédagogiques, les relations avec les parents et les tâches administratives.
Cette charge “invisible” est particulièrement lourde dans le second degré, où les enseignants déclarent en moyenne 15,5 heures de préparation et correction, contre 11,9 heures dans le premier degré. Les agrégés, souvent perçus comme privilégiés, consacrent même près de 42 % de leur temps à ces tâches en dehors de la classe.
Des obligations réglementaires inchangées depuis 1951
Le cœur du problème réside dans un décalage historique criant : les obligations réglementaires de service (ORS) des enseignants n’ont pas été révisées depuis 1951, alors que la nature du métier, les attentes institutionnelles et les besoins des élèves ont radicalement changé.
Dans le premier degré, le service d’enseignement reste fixé à 24 heures hebdomadaires devant élèves, auxquelles s’ajoutent 108 heures annuelles pour d’autres missions (APC, travail en équipe, relations avec les parents…).
Dans le second degré, les maxima hebdomadaires varient selon les corps : 15 heures pour les agrégés, 18 heures pour les certifiés, 20 heures pour les professeurs d’EPS.
Pourtant, ces chiffres ne reflètent en rien la réalité du travail effectué en dehors de la classe. Comme le souligne un article de The Conversation, “les professeurs des écoles travaillent plus qu’on ne le croit” – une affirmation que les données de la DEPP étendent à l’ensemble de la profession.
Le dénigrement anti-professeur, outil de délégitimation sociale
Cette charge de travail accrue s’accompagne d’une reconnaissance sociale et salariale en berne. Les enseignants français sont moins payés que les autres cadres A de la fonction publique d’État, et leur rémunération stagne depuis des années, alors que les exigences et les pressions augmentent.
Le “prof bashing” n’est pas un phénomène anodin : il participe d’une délégitimation organisée des revendications enseignantes. En caricaturant le métier – “beaucoup de vacances”, “horaires légers” –, on minimise la charge réelle de travail et on justifie l’absence de revalorisation salariale et statutaire.
Pire, cette dévalorisation entretient un climat de défiance qui pèse sur l’attractivité du métier. Comment convaincre de jeunes diplômés de s’engager dans une profession sous-payée, sous-considérée et sursollicitée ?
Un temps annualisé sous pression
L’étude de la DEPP révèle également que le travail ne s’arrête pas aux portes de l’école. Pendant les vacances scolaires, les enseignants continuent de travailler en moyenne 33 jours par an, avec une intensité particulièrement marquée dans le second degré (près de 35 jours). Sur l’année, le temps de travail total déclaré atteint 1 634 heures en moyenne, un chiffre qui dépasse largement le cadre strict des obligations réglementaires.
Malgré tout cela, la très réactionnaire et surpayée Cour des comptes réclame à corps et à cris d’alourdir encore la charge de travail des enseignants :
Elle ordonne d’annualiser leurs obligations de service afin de pouvoir les exploiter davantage, notamment en les obligeant à compenser les heures de cours non faites quand leur administration les détache pour d’autres missions (formation, examens, etc.).
Cela vise en priorité les professeurs de lycée professionnel. En effet, ce maillon essentiel de l’enseignement, qui accueille massivement les jeunes pauvres, et la bourgeoisie projettent depuis longtemps de le vider de son sens pour priver les élèves pauvres d’enseignement et les livrer directement à l’exploitation du patronat dans le cadre de l’apprentissage. C’est pourquoi elle veut envoyer les professeurs de LP faire des remplacements en collège pendant que les élèves sont en stage de pratique professionnelle.
Cela revient à nier le travail de ces enseignants pour suivre leurs élèves. Cela montre de plus le mépris total des réacs de la Cour des comptes pour les enseignants de collège, qu’ils considèrent remplaçables par des enseignants qui n’ont pas la formation spécifique pour y enseigner.
Ce n’est pas tout, n’ayant jamais avalé la mise en place de l’enseignement secondaire pour tous (qu’ils appellent collège unique), et cela bien que cette réforme fut menée par un gouvernement de droite (mais sous la pression d’un Parti communiste fort), ils veulent priver les collégiens d’enseignants spécialistes de leur discipline, certifiés ou agrégés, pour imposer le retour de la bivalence et des PEGC.
Bien évidemment, tout cela est lunaire alors que le nombre de volontaires pour enseigner touche le fond !
Au-delà du nombre d’heures total travaillées, la pénibilité du travail devant élève est sous-estimée par mépris de classe du travail en classe
Au-delà de l’arithmétique des heures, c’est la nature même du travail en classe qu’il faut interroger. Les recherches en ergonomie cognitive décrivent l’enseignement non comme l’exécution d’un script, mais comme une activité de régulation et de décision en temps réel, d’une intensité comparable à celle des métiers les plus exigeants en matière de charge mentale.
Les travaux fondateurs de G. Leinhardt et J. Greeno ont démontré que l’enseignant opère une succession rapide de « micro-décisions en ligne » (on-line decisions) – questions, reformulations, ajustements de rythme – pour adapter son action aux réactions imprévisibles des élèves. Cette compétence cognitive complexe est prolongée par les analyses de J. T. Guthrie sur la motivation, qui soulignent les choix permanents de l’enseignant concernant la structuration des tâches et l’engagement des élèves. En France, les recherches du CNAM sur le travail enseignant synthétisent ces approches : le cœur du métier réside dans la gestion sous haute tension d’un environnement incertain, marqué par une forte densité décisionnelle.
Concrètement, cela se traduit par un rythme de 0,7 à 1,5 décision pédagogique ou managériale par minute, soit une décision toutes les 40 à 90 secondes. Cette fréquence, documentée, dépasse celle d’un pilote de ligne en phase de croisière (une décision significative toutes les 3-4 minutes, dans un cadre largement procéduralisé) et est d’une nature différente de celle d’une infirmière de bloc, dont les actions, bien qu’intenses, sont plus cadencées par des protocoles stricts.
Ainsi, chaque heure devant élèves équivaut à une performance intellectuelle et relationnelle ininterrompue, un pilotage simultané de la navigation pédagogique, du climat social et de l’équilibre émotionnel du groupe.
C’est cette charge cognitive invisible, cette « vigilance multifocale » constante, qui explique pourquoi la simple heure de cours pèse d’un poids spécifique et considérable, bien au-delà de son unité comptable, et fait de l’enseignement un métier pénible.
Les attaques contre le statuts réactionnaire ou gauchiste, l’autre menace sous-jacente
Face au dénigrement anti-prof et à la charge invisible qui minent le corps enseignant, une autre menace, plus structurelle, pèse sur les fondements mêmes de l’école républicaine : la déconstruction européenne des statuts publics. L’article du PRCF rappelle que la défense de ces statuts, loin d’être un corporatisme étroit, est un enjeu démocratique et social majeur pour l’ensemble de la société.
Or le statut de la fonction publique, et en particulier le recrutement par concours nationaux comme le CAPES, constitue un pilier essentiel de l’école républicaine. Il garantit l’indépendance des enseignants face aux pressions politiques, locales ou religieuses, protégeant ainsi la laïcité et la transmission des savoirs. Cette architecture, issue des acquis de 1945 et couplée aux conventions collectives, est aujourd’hui systématiquement démantelée par les directives européennes qui promeuvent la précarisation, le management local et la substitution des compétences aux disciplines.
Ces attaques sont malheureusement bien facilités par les gauchistes qui par manque de réflexion autant que part démagogie militent dans les faits pour que tous les enseignants deviennent précaires.
Pour le PRCF, abandonner ces principes au nom d’un prétendu assouplissement conduirait inévitablement à une baisse généralisée du niveau de qualification, à une dévalorisation salariale et à la transformation de l’école publique en un service au rabais.
Défendre résolument les statuts et les concours nationaux n’est donc pas un réflexe corporatiste, mais un combat pour préserver un outil républicain indispensable à l’égalité d’accès à un haut niveau de culture pour toute la jeunesse, dans la perspective d’une République sociale et souveraine.
Nous y reviendrons dans un prochain article plus développé.
Pour une reconnaissance du travail réel
Il est temps de regarder la réalité en face : les enseignants travaillent davantage que ce que leur statut laisse paraître, dans un contexte où les missions se sont complexifiées – inclusion scolaire, numérique éducatif, gestion de l’hétérogénéité, urgences climatiques et sociales.
Plutôt que de nourrir le dénigrement des enseignants, la société gagnerait à reconnaître la valeur et l’engagement de ceux qui font l’école au quotidien. Cela passe par :
- Une revalorisation salariale à la hauteur de leur qualification et de leur charge de travail.
- Une révision des obligations de service pour intégrer le temps de préparation, de correction et de coordination.
- Une meilleure prise en compte des conditions d’exercice, notamment en éducation prioritaire où les enseignants déclarent des temps de travail spécifiques.
Les enseignants ne demandent pas des privilèges, mais de la justice professionnelle. Leur travail, essentiel à la cohésion sociale et à l’avenir du pays, mérite mieux que des clichés et une paie en retard sur l’inflation. Reconnaître leur engagement, c’est aussi redonner à l’école la place et les moyens qu’elle mérite.
Il est évident que cela nécessite de consacrer les investissements nécessaires à la valorisation de ces missions d’avenir essentielles dans une société tournée vers le progrès. Cela est radicalement incompatible avec les injonctions de l’UE et de l’OTAN qui commandent de nourrir la machine de guerre militaire et sociale en détournant les richesses créées par les travailleurs au profit des rentiers et des marchands de canons et du maintien de la domination impérialiste euro-atlantique.
C’est pourquoi, comme l’analyse le PRCF, il est important pour toute personne souhaitant sincèrement améliorer le système éducatif français et en particulier soutenir ses enseignants, de se mobiliser pour que l’argent public serve à enseigner plutôt qu’à bombarder.
Cela veut aussi dire pointer avec courage et lucidité la responsabilité de l’UE et de l’OTAN dans l’exploitation qui frappe le peuple de France. Il est urgent d’en sortir et de pouvoir ainsi construire les conditions d’une sortie émancipatrice du capitalisme.
Sources : DEPP, enquête FPE 2022 ; “Les professeurs des écoles travaillent plus qu’on ne le croit”, The Conversation, 2024.





