Paris – Jakarta – 5 septembre 2025 Pour comprendre les causes et les revendications des manifestations en Indonésie qui secouent fortement le pouvoir en place, Initiative Communiste vous propose depuis l’Indonésie un entretien exclusif avec Yeri, historien indonésien.
A lire :
Initiative Communiste : Depuis quelques jours l’Indonésie est secouée par de fortes manifestations. Après des violences policières et une forte répression (selon les réseaux sociaux, il y aurait déjà plusieurs centaines voir milliers d’arrestations), la situation s’est littéralement embrasée : A Jakarta, les maisons de deux parlementaires ont été saccagées, tout comme celle de la ministre des finances, ancienne directrice de la banque mondiale. Dans plusieurs grandes villes, à Java, mais aussi dans les autres iles, des parlements locaux ont été incendiés. Quelle est la situation actuelle ? Qu’est ce qui a provoqué cette explosion de colère ?
La situation actuelle est un peu tendue. Il y a toujours des manifestations, mais elles sont moins massives et moins fortes. La police commence à arrêter les personnes désignées comme provocateurs. En revanche, les protestations des Indonésiens à l’étranger (Melbourne, Berlin, La Haye, New York, etc. ; la majorité dans les pays occidentaux) commencent à se multiplier.
L’explosion de colère est due au gouvernement et aux membres du parlement, jugés incompétents et corrompus. L’économie indonésienne est en grand déclin. Les projets du gouvernement nécessitent énormément d’argent. Afin d’obtenir ces fonds, ils augmentent les impôts du peuple. Mais la vie économique est très difficile, à cause des longues procédures bureaucratiques et de la corruption. Le peuple perd son travail, le chômage est partout. Les jeunes n’ont pas confiance en leur avenir.
Dans ce contexte, le parlement profite d’indemnités en plus de leur salaire sans payer d’impôts. Cela provoque la colère du peuple. Le point culminant a été atteint lorsqu’un jeune chauffeur de moto-taxi en ligne (son nom Affan Kurniawan) est mort, écrasé par un véhicule de police. Les gens attaquent le parlement et les sièges de police. Ils pillent les maisons de certains membres du parlement ainsi que le ministère de l’économie. Là, on craint que les émeutes de 1998 (attaques anti-chinoises et viols contre des femmes) ne se répètent..
Initiative Communiste : Quelles sont les principales revendications populaires dans ces manifestations ? Quelle est la réponse actuellement du gouvernement Prabowo ?
Il y a plusieurs expressions de revendication, mais la plus populaire est le mouvement des 17 + 8 demandes (https://en.tempo.co/read/2045717/what-is-the-178-peoples-demands-a-popular-discourse-on-indonesias-social-media). En principe, il exige une réforme du gouvernement, du parlement et de la police, ainsi que le retour de l’armée dans ses casernes.
Le gouvernement Prabowo a annulé les indemnités des membres du parlement et a révoqué les policiers responsables de la mort de la victime Affan.
Cependant, le gouvernement ignore le principe de cette revendication, à savoir la réforme du gouvernement, du parlement et de la police. Pire encore, il arrête certains militants en les accusant de provocation. Hier, des activistes des réseaux sociaux ont rencontré deux membres du parlement pour exiger cette revendication.
Initiative Communiste : En 1997 c’est déjà une crise économique qui a provoqué un puissant mouvement de colère populaire, entrainant à la suite de manifestations violemment réprimée – et Prabowo, le beau fils de Suharto était alors à la manœuvre – en 1998 la chute du gouvernement Soeharto, dictateur en place depuis 1965. Qui est Prabowo et comment est-il arrivé au pouvoir ? Qu’est ce qui a changé pour les indonésiens depuis 1998 ?
Vous savez bien que Prabowo est un ex-beau fils de Soeharto et qu’il reste toujours proche de cette famille. On sait que son gouvernement veut nommer Soeharto comme héros national (la même histoire que le retour de la famille Marcos aux Philippines et la restauration de son nom lorsque le fils Marcos est devenu président) et qu’il veut réécrire l’histoire des massacres de 1965 et de 1998 (en minimisant le rôle de Soeharto et de l’armée dans ces événements).
Prabowo est arrivé au pouvoir après quatre échecs à l’élection présidentielle. Il a collaboré avec le fils de l’ancien président Jokowi lors de la dernière élection.
Nous pensons que c’est un retour en arrière, une histoire qui se répète. La « Réforme » a échoué : l’ancien régime (la famille et les proches de l’Ordre nouveau) revient au pouvoir. D’un autre côté, il me semble que nous sommes fatigués à cause d’une longue histoire sans justice : aucun des principaux acteurs des crimes de 1965 et de 1998 n’a été poursuivi en justice.
Initiative Communiste : En ce mois de septembre 2025, on ne peut pas ne pas faire le lien entre ces manifestations populaires et la répression et l’exploitation continue que subissent les indonésiens depuis qu’à l’automne 1965 le coup d’état de Soeharto et la répression anticommuniste a interdit le parti communiste indonésien, génocidé près de 3 millions de ses militants et sympathisants, réprimés jusqu’à aujourd’hui leurs familles et ainsi écrasé le mouvement progressiste sous la botte fasciste du régime de l’Ordre Nouveau. Alors que l’Indonésie de Sukarno était l’un des pays leader des pays non alignés, que les communistes y poussaient, avec le plus grand parti communiste hors pays socialiste, les nationalisations, l’indépendance nationale et le progrès social pour les travailleurs, les paysans, les femmes, septembre 1965 a marqué le virage de la contre révolution mondiale. Et pour l’indonésie, la mise en coupe réglée du pays et ses richesses énormes par les multinationales, par une élite bourgeoise corrompue, imposant sa dictature, d’abord sous la férule conjointe d’une dictature militaire appuyée par les nationalistes et religieux, avant de prendre après 1998 davantage l’apparence d’une démocratie bourgeoise. Ce qu’elle n’est pas, l’opposition de gauche étant toujours réprimée, le parti communiste interdit, les criminels du génocide de 1965 toujours pas jugés tandis que les victimes sont toujours criminalisées. N’est ce pas cette situation d’exploitation massive qui provoque l’ébullition actuelle ?
La connaissance de l’histoire de 1965 reste limitée, même si elle s’est élargie parmi les jeunes grâce à Internet. L’anti-gauche continue de stigmatiser ce mouvement en le qualifiant de communiste. Mais ces accusations ne convainquent plus les jeunes.
Dans le même temps, les jeunes apprennent l’histoire du peuple, non pas seulement sur Internet ou dans les livres, mais aussi à travers leur propre expérience dans les manifestations et les mouvements sociaux actuels. C’est une chance que nous écrivions aujourd’hui notre nouvelle histoire.
![Plongé sous austérité, récession et inflation, le peuple indonésien se révolte [ #IndonesiaGelap]](https://www.initiative-communiste.fr/wp-content/uploads/2025/09/20250829-indonesie-manifestation-120x86.jpg)
