« Rompre avec l’Europe pour sortir du cauchemar néolibéral : c’est peut-être cela le véritable internationalisme. » Cédric Durand, Stathis Kouvelakis, Razmig Keucheyan

Comme nous l’avions déjà signalé, le PRCF apprécie positivement les dernières prises de positions d’un certain nombre de personnalités progressistes (François Ruffin, Jacques Sapir, Frédéric Lordon, Aurélien Bernier, etc.), sur des thèmes tels que la sortie de l’euro, la rupture avec l’Union européenne, la question de la souveraineté nationale et populaire. Que ces personnalités « médiatiques » rejoignent ce que le PRCF dit grosso modo depuis  sa création il y a 10 ans, nous n’en sommes pas peu fiers ! Cela montre que notre ligne politique, patriotique, de classe, internationaliste et antifasciste, rencontre un écho et avance de plus en plus dans la gauche de gauche en allant à la rencontre de la réflexion propre de chercheurs et d’intellectuels de talent…

Nous espérons que le mouvement social s’en saisira, en débattra, fraternellement, et participera à son évolution future.
patriotisme et internationnalisme vignette Il en va de la responsabilité de chacun, face à l’offensive tous azimuts du capital et de ses armes de d’exploitation et de domination massive que sont l’UE et l’€uro, face à cette offensive relayée avec zèle en France par Sarkhollande, Ayrault et maintenant Valls, face à la fascisation qui monte, face aux menaces contre la paix, que les républicains sincères, les progressistes et bien entendu les communistes remettent les travailleurs à l’offensive. En se rassemblant en un puissant front du peuple ! En faisant front tous ensemble, pour la sortie de l’UE, de l’Euro et de l’OTAN par la voie du progrès social, par la voie de la souveraineté populaire, par la voie de la défense et de l’extension des conquis du CNR aujourd’hui menacés de mort, par la voie d’un CNR 2.0. C’est d’ailleurs comme cela que l’on reprendra l’avantage dans la lutte des classes. Que l’on ouvrira la possibilité d’avancer vers le socialisme.

 

« Face à l’axe Berlin/Paris, forme moderne des traditions collaboratrices séculaires des bourgeoisies allemande et française, les travailleurs ont défendu l’intérêt national. La défense de la nation apparaît donc comme un enjeu de classe primordial: ce qui ne signifie pas que le combat de classe se réduise désormais à sa dimension strictement patriotique mais suppose au contraire que la survie de la nation face à la mondialisation capitaliste passe plus que jamais par l’abolition de l’exploitation capitaliste. Cette défense de la souveraineté nationale repose donc sur la solidarité de classe de tous les travailleurs d’Europe dont l’ennemi a deux visages: le cosmopolitisme maastrichtien et le chauvinisme réactionnaire. Mais pour pour battre ces deux « monstres » politiques, le prolétariat dispose aussi de deux armes maîtresses: le patriotisme populaire et républicain et l’internationalisme prolétarien. »

Extrait du livre de « Mondialisation capitaliste et projet communiste« , écrit par Georges Gastaud, le Temps des Cerises, 1997. Auteur également de Patriotisme et Internationnalisme. G Gastaud est secrétaire national du PRCF

La vraie nature de l’internationalisme

La sidération de la gauche face à l’Europe résulte de son incapacité à admettre qu’il y a un internationalisme du capital, un internationalisme des classes dominantes. L’internationalisme n’est pas toujours de gauche ou progressiste. A l’inverse, les classes dominantes ne sont pas encroûtées à jamais dans cette forme politique qu’est l’Etat-nation.

Le capitalisme est un système par essence mobile. Lorsque les circonstances deviennent défavorables à l’accumulation du capital, il peut aller chercher des conditions plus propices ailleurs. Le capitalisme peut aussi mettre en concurrence les espaces, en s’appuyant sur les uns pour contraindre les autres à se plier à sa logique.

La mondialisation néolibérale permet, à la fois, d’ouvrir de nouveaux champs d’activités profitables, et d’agir comme un puissant levier pour défaire les coûteux compromis sociaux de l’après-guerre. Réorganiser l’accumulation du capital à une échelle où les syndicats et les mouvements sociaux sont presque inexistants est le meilleur moyen d’affaiblir leurs positions.

« L’UE est une incarnation de cet internationalisme du capital. »

L’UE est une incarnation de cet internationalisme du capital. C’est un espace politique dont les classes populaires sont exclues. Par le passé, des nuances ont pu exister au sein des élites européennes concernant le type de dynamique économique et de régime politique à développer. Depuis, la relance du projet européen, avec l’acte unique de 1986, le néolibéralisme règne sans partage. L’UE tend, depuis ses origines, à échapper au contrôle populaire. Cette tendance n’a cessé de s’accentuer, surtout, depuis la crise de 2008. C’est alors que les institutions européennes les moins démocratiques, au premier rang desquelles la Banque centrale, sont montées en puissance, au détriment de celles qui font encore mine d’être démocratiques, comme le Parlement européen. L’euro est au cœur de cet internationalisme des classes capitalistes européennes : véritable rouleau compresseur de la «discipline salariale» à l’intérieur, il s’est construit comme moyen de paiement et monnaie de réserve au niveau mondial, au service de l’expansion de la finance et des grandes sociétés européennes.

Mondialisation et construction européenne ont ainsi changé le contexte dans lequel se pose la question de l’internationalisme. La configuration politique n’est plus celle d’une domination de la bourgeoisie via les Etats-nations.

Tout comme son opposé le nationalisme, l’internationalisme n’a jamais cessé de changer de forme. Les mouvements sociaux – mouvement ouvrier en tête – ont, quant à eux, cherché à articuler les différentes échelles de la politique. L’idée que l’internationalisme consisterait à opposer toujours l’international au national est donc simpliste. L’internationalisme consiste à faire avancer les intérêts des classes subalternes – et par cette entremise de l’humanité entière – en s’affranchissant des obstacles érigés par les classes dominantes, quelle que soit l’échelle à laquelle ces obstacles sont situés.

« aucune politique alternative au néolibéralisme n’est possible dans le cadre institutionnel actuel de l’UE »

A l’approche des européennes, la gauche radicale doit se rendre à l’évidence : aucune politique alternative au néolibéralisme n’est possible dans le cadre institutionnel actuel de l’UE. Rendre une telle politique possible suppose de rompre avec ce cadre, et de recouvrer les moyens d’une politique monétaire autonome. Cela conduira forcément à des dislocations au sein de l’UE, autrement dit, un ou des pays sortiront de ce cadre, alors que d’autres voudront le conserver. Les pays qui en sortiront se rabattront sur l’échelon étatique national, et décideront, dans le meilleur des cas, ensemble des politiques alternatives à mettre en œuvre pour organiser un autre type d’intégration. Sans être préparée à cette éventualité, la gauche radicale sera prise au dépourvu si elle accède au pouvoir. Il est inconcevable qu’au cours de ce processus de rupture, l’euro demeure en l’état. Les pays qui quitteront le cadre européen se doteront de leur propre politique monétaire.

Loin d’être un antidote contre le nationalisme, l’UE n’a cessé de le renforcer. La résurgence de ce que la construction européenne devait conjurer est due à la combinaison de politiques néolibérales de plus en plus agressives, et au sentiment de dépossession politique croissant qu’éprouvent les citoyens face à l’Europe.

Le régime semi-colonial imposé à certains pays de la périphérie européenne, Grèce en tête, n’est pas accidentel, mais l’expression de ces tendances de fond. A ce régime font écho, vers l’extérieur, une politique migratoire odieuse – l’Europe «forteresse» et une politique étrangère inexistante ou assujettie aux intérêts des Etats-Unis.

« Rompre avec l’Europe pour sortir du cauchemar néolibéral : c’est peut-être cela le véritable internationalisme. »

L’Europe n’est ni une entité cohérente sur le plan économique (la crise l’a démontré), encore moins un espace culturellement homogène. La seule raison de faire l’Europe est de la doter d’un projet politique améliorant la vie des populations. Un tel projet n’a, en réalité, aucune raison de s’arrêter aux frontières géographiques de l’Europe. Des pays situés au-delà de ces frontières pourraient y prendre part, et d’autres pays, situés sur le continent, s’y opposer. Rompre avec l’Europe pour sortir du cauchemar néolibéral : c’est peut-être cela le véritable internationalisme.

Cédric DURAND Economiste à Paris-XIII, Stathis KOUVÉLAKIS Philosophe au King’s College de Londres et Razmig KEUCHEYAN Sociologue à Paris-IV

Tribune publiée par Libération le 23 avril 2014

Sur le sujet, voici quelques livres à lire

A lire sur le même thème